13 janvier 2013

Le prix d'un Goncourt (bis)


« Les Anciens se méfiaient de la réussite non seulement parce qu'ils craignaient la jalousie des dieux mais encore le danger de déséquilibre intérieur lié à tout succès comme tel. »
CIORAN, Aveux et Anathèmes

"Fiers de mon prix Goncourt, ils (mes fils) doivent se dire en leur for intérieur qu'on a couronné un lascar qui cachait bien son jeu. Ils ne se trompent guère. Cette distinction m'allait comme une queue de morue à un garde champêtre. Alors pourquoi donner tant d'importance à cet événement intempestif en lui consacrant ces pages? C'est que j'avais besoin de me mettre à table, de passer aux aveux, d'en finir une bonne fois pour toutes avec le malentendu qui pesait sur ma vie désormais reverdie: ménage de printemps. On en profite pour flanquer à la poubelle toutes sortes de reliques qui encombrent les placards. On ouvre les fenêtres, on arrache les vieilles tapisseries imbibées de nos marasmes et de nos malchances, on reblanchit les plafonds témoins de nos hébétudes. L'air frais a le goût du matin sur la mer. (..) Il m'arrive encore de rêver, l'espace d'un éclair infinitésimal, que je vais subitement me retrouver dans le jardin de Montfort-L'Amaury, juché sur les collines au-dessus de Nîmes, un matin de mai, lorsque l'air présente un versant chaud et un versant frais. Il y aura ma grand-mère sous la tonnelle, en train d'éplucher ses oignons, ma mère jouant les "Scènes d'enfants" de Schumann au piano, mes deux sœurs se chamailleront dans le grenier, le portail grincera, mon père entrera en poussant sa bicyclette. - Il paraît qu'un jeune Nîmois est favori pour le Goncourt - , me dira-t-il en sirotant son Antésite. Mais il ne s'agira pas de moi. " J.Carrière.

Jean Carrière, dans un petit livre de réflexion douce-amère que j'ai retrouvé récemment, règle ses comptes avec "son" Goncourt, expérience déconstructive entre toutes dont il mit des années à se remetttre. Celui-ci fut paradoxalement un succès de vente resté inégalé jusqu'ici, des centaines de milliers d'exemplaires écoulés pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. 

Lu dans:
Jean Carrière. Les cendres de la gloire. Le Prix d'un Goncourt. Ed. JJ Pauvert. 1987. 235 pages. Extraits: Exergue, p.13, pp 234-235

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