« Les Anciens se méfiaient de la réussite non seulement parce qu'ils craignaient la jalousie des dieux mais encore le danger de déséquilibre intérieur lié à tout succès comme tel. »
CIORAN, Aveux et Anathèmes
"Fiers de mon prix Goncourt, ils (mes fils) doivent se dire en
leur for intérieur qu'on a couronné un lascar qui cachait bien son
jeu. Ils ne se trompent guère. Cette distinction m'allait comme
une queue de morue à un garde champêtre. Alors pourquoi donner
tant d'importance à cet événement intempestif en lui consacrant
ces pages? C'est que j'avais besoin de me mettre à table, de
passer aux aveux, d'en finir une bonne fois pour toutes avec le
malentendu qui pesait sur ma vie désormais reverdie: ménage de
printemps. On en profite pour flanquer à la poubelle toutes sortes
de reliques qui encombrent les placards. On ouvre les fenêtres, on
arrache les vieilles tapisseries imbibées de nos marasmes et de
nos malchances, on reblanchit les plafonds témoins de nos
hébétudes. L'air frais a le goût du matin sur la mer. (..) Il
m'arrive encore de rêver, l'espace d'un éclair infinitésimal, que
je vais subitement me retrouver dans le jardin de
Montfort-L'Amaury, juché sur les collines au-dessus de Nîmes, un
matin de mai, lorsque l'air présente un versant chaud et un
versant frais. Il y aura ma grand-mère sous la tonnelle, en train
d'éplucher ses oignons, ma mère jouant les "Scènes d'enfants" de
Schumann au piano, mes deux sœurs se chamailleront dans le
grenier, le portail grincera, mon père entrera en poussant sa
bicyclette. - Il paraît qu'un jeune Nîmois est favori pour le
Goncourt - , me dira-t-il en sirotant son Antésite. Mais il ne
s'agira pas de moi. " J.Carrière.
Jean Carrière, dans un petit livre de réflexion douce-amère que
j'ai retrouvé récemment, règle ses comptes avec "son" Goncourt,
expérience déconstructive entre toutes dont il mit des années à se
remetttre. Celui-ci fut paradoxalement un succès de vente resté
inégalé jusqu'ici, des centaines de milliers d'exemplaires écoulés
pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.
Lu dans:
Jean Carrière. Les cendres de la gloire. Le Prix d'un Goncourt. Ed. JJ Pauvert. 1987. 235 pages. Extraits: Exergue, p.13, pp 234-235
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