18 novembre 2021

Mémoire des cahiers toilés

 «C'est un triste chemin que de monter et de descendre l'escalier d'autrui.»
                            Dante. La Divine comédie



J'avais oublié jusqu'à l'existence de Dante, Catherine me l'a remise en mémoire. Son mari est décédé des suites d'une démence il y a trois ans, et pour la première fois elle est revenue à sa bibliothèque des soirées studieuses. Un exemplaire d'époque de La divine comédie semblait l'attendre sur le bureau, ouvert sur un mince feuillet jauni, recommandant de s'inspirer autant que possible de la lecture du poète italien ("Autant que savoir, douter me plaît", souligné dans le texte).  Catherine m'explique qu'elle aussi oublie, ce pourquoi elle recopie dans un cahier toilé l'essentiel de ses découvertes et réflexions personnelles. "Je m'aperçois que mémoire et réflexion sont deux notions totalement différentes" souffle-t-elle, "et si je perds l'une, l'autre fonctionne comme à  20 ans, dès lors j'écris."

Je la quitte pour rendre visite à une autre patiente, plus âgée, plus oublieuse, dont je note l'étonnant monologue: "Je ne sais pas où je suis, ni même plus qui je suis; heureusement qu'il y a des cartes d'identité, mais c'est ma fille qui la conserve car elle craint que je la perde. Dans la rue, des voisins ont placé la première guirlande, les fêtes ne doivent pas être loin, avec toutes ces images du passé qui se mêlent. Heureusement qu'on a encore tout ce bonheur dans la tête. Je n'entends plus bien, j'ai les oreilles bouchées, tant mieux, ainsi les souvenirs heureux ne pourront pas sortir. "

On quitte tout cela avec des sentiments mélangés, dehors le ciel est gris plombé d'un côté, tout bleu de l'autre, l'automne est capricieux. Comme la vie sans doute, heureusement qu'on a la possibilité de garder tout ce bonheur dans la tête.

 

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