"À quelques mètres de la pierre vivante, l’eau surgit enfin d’une fontaine telle qu’on en voyait au temps des bergers d’Arcadie. La Marne en coulait doucement. Je me suis approché d’elle. Dans le vallon aux violentes odeurs telluriques, elle me murmurait : « Enfin, tu es là. Tu en as mis du temps ! » Que pouvais-je répondre ? J’ai joint mes deux mains pour la recueillir. Elle avait un goût étrange de menthe et de mousse, pur et coupant."
Jean-Paul Kauffmann
Rassasiée d'années, elle nous a quitté la nuit passée, paisiblement,
soucieuse jusqu'au bout de ne pas déranger. Si faible et si menue qu'on
imagine sans peine le bébé qu'elle fut à sa naissance. Jean-Paul
Kauffmann l'écrit joliment: remonter la Marne, ce n’est pas revenir en
arrière et
pleurer le passé, mais au contraire se perdre pour mieux renaître.
"C'était une vraie gentille" comme le résume sobrement un de mes fils à
qui on l'annonce, quelle plus belle épitaphe imaginer?
Un autre patient décède la même nuit, également à domicile, de
mémoire de médecin ce ne m'était jamais arrivé. Même âge, même parcours
modeste soucieux des autres avant de lui-même, lui non plus n'ayant
jamais habité ailleurs qu'à Anderlecht sa commune natale, et celle de
ses parents. Regagnant mon domicile, il me prend de faire des hypothèses
romanesques: ces deux-là se sont-ils croisés un jour au cours de leur
longue existence sur un territoire aussi limité, à l'occasion d'un
achat, d'une célébration religieuse, d'une braderie, d'une visite
médicale, autour d'un bac à sable? Se sont-ils adressé un sourire
complice, ou un commentaire sur l'orage qui menaçait? Ni l'une ni
l'autre ne sont plus là pour le dire, ils peuvent se reposer maintenant.
Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard.
2013. 264 pages. Extrait p. 261
1 commentaire:
Nuit difficile, bel hommage. Bon dimanche à vous & merci de partager vos pensées et ces extraits de vos lectures.
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