"C'était un rêve où il pleuvait
mais toi et moi étions à l'abri
Il y avait une grande baie
sur laquelle ruisselait la pluie
et à travers l'eau brouillée
on devinait la mer tout prèsJe prenais des bûches et du petit bois
je roulais un journal en boules
Le feu déjà crépitait
elle faisait bouillir de l'eau
dans la cuisine à côté
«Veux-tu des toasts avec le thé?» (..)
Je me réveille en sursaut
dans la chambre d'hôpital
Il ne pleut pas Pas de feu
pas d'eau qui bout
La mer est très loin
Je suis seul elle n'est pas làJe voudrais tant qu'elle soit là
et mon cœur bat la chamade
Claude Roy . Hôpital Marie Lannelongue 24 juin 1982
On a tout dit de la Covid-19, mais de la solitude? De ces patients
décédés en soins intensifs au terme de 4 semaines , sans jamais avoir pu
revoir leur femme, et qui jamais ne se seraient présentés seuls à la
consultation, petits amoureux de Peynet inquiets que l'autre tombe
malade. De ces pensionnaires en maison de repos à qui il avait été
promis "Tu verras maman, tu seras bien / T'auras plus souci de rien" et
qui n'ont parfois plus quitté la chambre depuis des semaines, murés dans
le silence. De cette patiente échevelée devenue sorcière faute d'un
coiffeur, et qui ne quitte plus son domicile par honte davantage que par
peur. De ces grands-parents protégés comme la momie Rascar Capac de
Tintin, qu'on tente de convaincre que ZOOM c'est la vraie vie. De ces
adulescents vigoureux pour qui l'amour c'est cordon, ficelle serrée. De
ces mômes qui n'ont vu de face d'adulte que masquée, comme si la décence
élémentaire était un slip, un masque. Comme d'autres, j'ai souri en
apprenant que les dindes Corn et Cob avaient été graciées, les fêtes
seraient belles, et puis plouf, tous alla casa comme en mars. Paradoxe,
que je ne m'explique pas moi-même : comme médecin, je confinerais même
les pigeons de mon jardin, jusque Noël de l'année prochaine; comme Papy
il me prend parfois des envies de farandoles narguant la maréchaussée à
Flagey "pose les deux pieds en canard / C'est la Covid qui redémarre /
En voiture les voyageurs / la Covid part toujours l'heure". Ce virus
nous monte à tous à la tête, vivement qu'on trouve un vaccin contre la
solitude.
Lu dans :
Claude Roy. A la lisière du temps. La pluie en rêve. NRF Gallimard. 208 pages. Extrait pp. 35-36
Claude Roy. A la lisière du temps. La pluie en rêve. NRF Gallimard. 208 pages. Extrait pp. 35-36
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