"Au Manoir Hovey, au bord du lac Massawippi (Québec), on sert en juillet un plat dit de pommes hivernales; il s'agit de pommes gardées sur l'arbre jusqu'au dernier moment. Le chef Francis Wolf laisse les pommes geler et dégeler sur l'arbre jusqu'à la fin de l'hiver, afin de les cueillir à un moment où la saveur est devenue incroyablement intense. Certes, les fruits sont noircis et difficiles à travailler, mais si les fruits cultivés uniquement pour notre consommation sont des produits pour ainsi dire d'enfants gâtés, ces pommes, qui ont passé deux saisons sur l'arbre, auront vécu une vraie vie de pomme. Elles n'ont pas traversé que des moments faciles, mais elles n'en sont que plus extraordinaires à ce titre. "
Ryoko Sekiguchi
Ivry Gitlis, décédé ce jeudi à 98 ans, refusait qu'on parle de "son"
Stradivarius mais suggérait qu'il n'avait été lui-même qu'un locataire
passager permettant à son instrument de vivre sa vie de violon. Concéder
à chaque chose, chaque personne qui nous entoure le droit de vivre sa
vie propre sans tenter de se l'approprier à son seul usage est une
sagesse. Un jour, quittant notre verger, un de mes petits-fils âgé de
trois ans me fit arrêter la voiture afin de permettre à une mouche de
rejoindre sa vie de mouche: "on n'a pas le droit de l'enlever à sa
famille." Il avait raison, et me donnait sa première leçon de
philosophie. Il l'ignore, mais dix ans plus tard j'en garde
l'enseignement.
Lu dans :
Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait pp 74, 75
Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait pp 74, 75
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