"Depuis toujours, aux quatre coins du monde, tout est en équilibre.
Lointains ou proches, nous respirons, nous aimons, nous pensons.
Nous vivons.
Mais aujourdhui, cette harmonie est devenue fragile."
Valentine Laffitte
On la croyait morte, la Covid, ses courbes épousaient la forme d'un
toboggan, on pouvait enfin ouvrir les fenêtres. Début septembre, on
libéra les vieux qui purent à nouveau, utilisant tout ce qui roule,
casser le bout de tarte en famille et tremper le cacao entourés de deux
ou trois générations rassemblées. Début octobre, les frottis s'emballent
et affolent les responsables des maisons de repos. Elle est de retour,
tout n'était qu'un rêve, on en revient aux fondamentaux: tous en
chambre, et les contaminés à l'étage. Il est des soirs ainsi qui
dégagent une odeur d'échec. Comme tant d'autres, je suis las de voir
s'effondrer tant d'efforts et tant d'espoirs en quelques heures. Un
arrière grand-papy proche est à l'hosto depuis ce matin, trop fragile
pour encore tenter la moindre résistance. On rassure la famille, il en a
vu d'autres. On zappe sur le maître du monde qui joue Ubu aux
Amériques, sur les students qui entament une année studieuse en éclusant
la corona "à bas les masques, on n'est pas des moutons", sur les
conspirationnistes qui soupçonnent Bill Gates de soumettre le monde par
les vaccins, quel vacarme sur les réseaux sociaux! Demain dès l'aube, à
sa modeste place, on tentera avec le peu qui nous reste de conviction de
contribuer à rétablir cette harmonie fragile, on enverra les frottis au
laboratoire, conseillant la quarantaine aux fiévreux, la tempérance aux
vigoureux, la distance aux bisouteux, le doute aux esprits bardés de
certitudes et le vaccin de la grippe à tous les autres. On fera humblement son métier d'humain, fragile parmi les siens.
Lu dans:
Valentine Laffitte. Aux quatre coins du monde. Versant Sud. Coll. « Les pétoches ». 2020. 40 p
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