"Nous allions vers les beaux jours."
Patrick Cauvin
Au jeu des dix erreurs, quelques détails qui font une sacrée
différence entre le Covid de mars et sa version d'octobre. La version
printanière nous a surpris comme une giboulée, c'était neuf, méconnu, presque excitant, un
petit air de 14-18 avec poilus partant la fleur au canon. On allait
voir, ce serait court, la victoire au bout de l'affrontement. Et à Pâques à
l'appel des cloches, tous dans le jardin pour les œufs. Tout était
inédit, le silence dans les rues, l'absence soudaine d'avion dans le
ciel, les sonnettes des vélos sortis de la cave, un petit air de grandes
vacances avant la lettre, l'exemple chinois de la discipline collective terrassant
le dragon, les Italiens chantant Bella Ciao à 20 heures pour leur
personnel soignant, bientôt imités par nos voisins aux fenêtres tapant
sur leurs casseroles, un printemps de six mois ensoleillé comme jamais
nous n'en connûmes et une certitude absolue: tous ces efforts en
valaient la peine, nous allions vers les beaux jours. En juillet surgirait une
délicieuse impression d’Armistice, le silence des canons, et une
légèreté dans l'air appréciée.
On a vu. Le Covid d'octobre a des airs de vieille tante sur le
retour, bien connue pour sa roublardise, plus lente à prendre ses
quartiers mais pas moins encombrante, les poilus ont fondu en nombre,
soit morts, soit malades, mais absents à la tâche. Une guerre de tranchées
plus qu'un combat de plaine, Waterloo a fait place à l'Yser et pour une
longue durée. Plus de sonnaille de bicyclettes, plus de chants aux fenêtres, plus de casseroles, il n'y a
plus de héros et puis c'est l'heure d'hiver, il faudrait faire son
vacarme à 17 heures, drôle d'idée. Règne un désenchantement dans l'air,
une sourde colère de tous ceux qui portèrent le masque, s’abimèrent les
mains au gel alcoolique et sacrifièrent la visite aux enfants depuis six
mois pour se découvrir infectés jusqu'à la moelle pour une gaufre de
Liège partagée sur une terrasse au passage de l'automne. Tout ça pour
ça.
De la bile sombre, que ma visite ce matin à quelques patients âgés
et
institutionnalisés n’éclaircit guère. Au fond du couloir, coupé par
une cloison bricolée à la va-vite aussi laide qu'un virus, la réserve où
se concentrent désormais les atteints du Covid, "vous qui pénétrez ici,
oubliez toute espérance..." En-deçà, ceux qui n'en sont pas
encore atteints; tous redoutent d'en être demain, soignants comme
pensionnaires, glauque perspective. Je rejoins ma voiture, me réfugiant
dans les Vêpres orthodoxes de Sergueï Rachmaninov, à chacun sa drogue
douce. Dehors soudain, aussi inattendu qu'un rayon de soleil dans la
brume, le chant d'un coq issu d'une improbable basse-cour. Surgit cette
évidence: qu'est-ce qu'un coq se fiche du Covid, et sa vigueur parvient à
nous faire douter du bien-fondé de nos propres ruminations. Et si tout
cela n'était qu'un rêve, un bien mauvais rêve.
Lu dans:
Patrick Cauvin. Nous allions vers les beaux jours. Le Livre de Poche. 1984. 316 pages.
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