12 octobre 2020

Portrait de Jean Cocteau, par lui-même

 

"Je n'ai jamais eu un beau visage. Mon ossature est bonne, mais les chairs s'organisent mal dessus. Mon nez, que j'avais droit, se busque comme celui de mon grand-père, et j'ai remarqué que celui de ma mère s'était busqué sur son lit de mort. Trop de tempêtes internes, de souffrances, de crises de doute, de révoltes matées à la force du poignet, de gifles du sort m'ont chiffonné le front, creusé entre les sourcils une ride profonde, tordu les sourcils, drapé lourdement les paupières, molli les joues creuses, abaissé les coins de la bouche, de telle sorte que si je me penche sur une glace basse je vois mon masque se détacher de l'os et prendre une forme informe. Ma barbe pousse blanche, mes cheveux perdent l'épaisseur. Mes dents se chevauchent. Bref, sur un corps ni grand ni petit, mince et maigre, je promène une tête ingrate." 
                Jean Cocteau



Le Prince des Poètes, tour-à-tour homme de théâtre, poète, peintre, céramiste, acteur de films qu'il réalise, membre de l'Académie française, ne s'aimait pas. La description qu'il laisse de son physique en témoigne. La beauté emprunte parfois des voies éloignées de la perfection physique. A relire les soirs où un bouton de fièvre sur les lèvres, l'apparition d'une fleur de cimetière sur le visage ou d'une clairière dans les cheveux nous désole.



Lu dans :
Jean Cocteau. La difficulté d'être. Le Livre de Poche. 1993. 187 pages. Extrait p. 31 

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