" (..) nous plantâmes notre tente dans un camping de Pompéi. Après plusieurs jours de visites, riches en surprises, de la capitale du sud de l'Italie, il était donc fatal que nous finissions par visiter les célèbres ruines. J'ai souvenir à la fois d'une errance un peu égarée parmi le labyrinthe des nombreuses allées désertes, et de l'étrange impression, renforcée par l'épais brouillard qui régnait ce matin-là, de traverser une ville contemporaine sur le point de s'éveiller. Nous pouvions admirer, au sein d'une lumière tamisée, assez onirique à vrai dire, des scènes de vie quotidienne du temps de la splendeur de la cité et ce qui se donnait à voir était stupéfiant, non seulement de par l'état de préservation et la qualité même du dessin et des couleurs mais par l'empathie de bonheur ineffable qui en émanait. Comment donc, me dis-je alors, a-t-on pu nous faire croire dans nos écoles républicaines que nous avions atteint un style de vie supérieur à celui qui se laissait deviner au travers de ces images? Il semblait d'une évidence confondante pour quiconque savait interpréter le message implicite de ces fresques, dont la patine avait résisté à près de vingt siècles, qu'un fait de civilisation merveilleux avait pris place ici en ces temps lointains, à l'ombre du Vésuve, et peut-être d'ailleurs - me dis-je encore - du fait même de cette menace qui restituait à l'existence sa valeur réelle."
Denis Grozdanovitch.
Il me plut d'imaginer, hier à divers moments de ma journée, la vie
quotidienne d'un médecin pratiquant à Pompéi le 24 août 79 quelques
heures avant l'éruption du Vésuve, de Zénon Ligre de Marguerite
Yourcenar lors de sa vie d'errance sur les routes européennes de la
Renaissance, ou d'un chamam imposant les mains à la même heure que moi
dans un endroit reculé à l'autre bout de la planète. La sécurité
qu'offre notre insertion dans une société surorganisée nous
garantit-elle un bonheur et une qualité de vie équivalents? Elle y
contribue probablement, mais la notation de Denis Grosdanovitch sème
comme un doute.
Lu dans:
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait pp.205-206
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