26 février 2025

La solitude et le doux retour à la vie des hommes

 

"Victoire... défaite... ces mots n'ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà prépare de nouvelles images. (..) En descendant moteur au ralenti sur Sans Julian, Fabien se sentit las. Tout ce qui fait douce la vie des hommes grandissait vers lui : leurs maisons, leurs petits cafés, les arbres de leur promenade."
                    Antoine de Saint-Exupéry. Vol de nuit.


A quoi rêve le skipper belge Denis Van Weynbergh à quelques jours de retrouver Les Sables-d'Olonne au terme d'un Vendée Globe éprouvant, ce tour du monde à la voile en solitaire, sans assistance et sans escale, qu'il affronte depuis plus de 100 jours. Loin derrière le vainqueur Charlie Dalin, arrivé depuis plus de 40 jours, et de la jeune Violette d'Orange, la coqueluche des médias. A moins de se voir déclassé pour arrivée en-dehors des délais, il sera le premier skipper noir-jaune-rouge à boucler l’épreuve, à bord de son modeste  bateau "Jojo " en hommage à Jacques Brel. Cent jours de solitude extrême au terme desquels les mots Victoire et Défaite n'ont plus de sens, seule demeurant l'aventure humaine pareille à celle de Fabien, pilote de l'Aéropostale en vol nocturne, immortalisé par Saint-Ex. Solitude extrême du vol, isolé dans le ciel, solitude pareille du skipper isolé dans l'océan, tous deux confrontés à la nature implacable, à la tempête, à la nuit, aux  éléments ainsi qu'à leur propre condition humaine. Solitude accentuée par l’absence de contact direct avec les autres hommes, réduite aux messages radio sporadiques qui ne suffisent pas à rompre l’isolement, surtout en cas de pépin. Notre skipper devine-t-il la proximité que nous ressentons avec lui dans son exploit? On peut être le dernier d'une épreuve, remportée par des champions équipés d'un matériel plus performant et d'un tout autre budget, et être le premier d'une aventure humaine dont nous nous sentons les équipiers. À travers le ciel nocturne, la tempête et le silence, il nous fait rêver à un monde où l’homme est certes seul, mais où sa solitude est aussi le prix du courage auquel il nous convie. On souhaite à Denis Van Weynbergh de retrouver maintenant tout ce qui fait douce la vie des hommes, leurs maisons, leurs petits cafés, leurs proches et les arbres de leur promenade. 


Lu dans:    
Antoine de Saint-Exupéry. Vol de nuit. Préface André Gide. Gallimard. 1931. Folio édition. 1972. 192 pages. Extrait p. 19

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