"La nuit n'est jamais complète
il y a toujours
une fenêtre ouverte
une fenêtre éclairée
il y a toujours un rêve qui veille
désir à combler faim à satisfaire
un cœur généreux
une main tendue une main ouverte
des yeux attentifs
une vie la vie à se partager."
Paul Eluard
31 décembre 2020
Passage d'année
30 décembre 2020
Patti Smith chante Dylan
“Les voix ne doivent pas être jugées en fonction de leur joliesse. Elles ne comptent que si elles vous convainquent qu’elles disent la vérité.”
Sam Cooke
Patti Smith. On peut difficilement montrer son amour sans montrer sa colère. Anatxu Zabalbeascoa. LENA. Le Soir du 12 décembre 2020
Patti Smith performs Bob Dylan's "A Hard Rain's A-Gonna Fall" - Nobel Prize Award Ceremony 2016. YouTube. https://youtu.be/941PHEJHCwU
28 décembre 2020
Une vie de mouche
"Au Manoir Hovey, au bord du lac Massawippi (Québec), on sert en juillet un plat dit de pommes hivernales; il s'agit de pommes gardées sur l'arbre jusqu'au dernier moment. Le chef Francis Wolf laisse les pommes geler et dégeler sur l'arbre jusqu'à la fin de l'hiver, afin de les cueillir à un moment où la saveur est devenue incroyablement intense. Certes, les fruits sont noircis et difficiles à travailler, mais si les fruits cultivés uniquement pour notre consommation sont des produits pour ainsi dire d'enfants gâtés, ces pommes, qui ont passé deux saisons sur l'arbre, auront vécu une vraie vie de pomme. Elles n'ont pas traversé que des moments faciles, mais elles n'en sont que plus extraordinaires à ce titre. "
Ryoko Sekiguchi
Ivry Gitlis, décédé ce jeudi à 98 ans, refusait qu'on parle de "son"
Stradivarius mais suggérait qu'il n'avait été lui-même qu'un locataire
passager permettant à son instrument de vivre sa vie de violon. Concéder
à chaque chose, chaque personne qui nous entoure le droit de vivre sa
vie propre sans tenter de se l'approprier à son seul usage est une
sagesse. Un jour, quittant notre verger, un de mes petits-fils âgé de
trois ans me fit arrêter la voiture afin de permettre à une mouche de
rejoindre sa vie de mouche: "on n'a pas le droit de l'enlever à sa
famille." Il avait raison, et me donnait sa première leçon de
philosophie. Il l'ignore, mais dix ans plus tard j'en garde
l'enseignement.
Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait pp 74, 75
Sagesse des peluches
"La nuit est loin. Le jour revient et je suis en vie, en grand appel de vie. Il est temps de se fondre parmi ceux qui m'entourent. Je disparais dans mon époque, dans la petite course de mon existence. Je dis adieu à tous mes personnages, ceux que j'ai croisés, ceux qui ont existé, ceux que j'ai lus, ceux que j'ai inventés, ceux qui sont morts et ceux qu'il me sera encore donné de côtoyer, je ne fais plus de distinction entre les uns et les autres, ils sont mon peuple mélangé. Je leur dis adieu, non pas que je les quitte — jamais je ne serai fait d'autre chose que d'eux — mais le temps long où ils ont eu tout loisir de se déployer en moi s'achève. (..) Et lorsque ce sera l'heure, sur ce pavé que j'aime ou ailleurs, vieillard repu d'avoir tant vécu ou homme pris dans la force de l'âge, j'espère qu'il me sera donné de la prononcer à nouveau, cette phrase, pour qu'elle éloigne de moi la peur, qu'elle m'emplisse d'un sentiment profond de quiétude, j'espère, oui, que me sera donné le temps de reconvoquer en moi la beauté de tout ce que j'ai traversé, et de la dire avec un sourire serein : "C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau."
Laurent Gaudé
Lu dans :
Laurent Gaudé. Paris, mille vies. Actes Sud. 2020. 80 pages. Extrait pp 87-88
Le doudou, le premier et plus fidèle ami. Reportage de Florence Helleux, Frederic Poussin, et Smain Belhadj. "20h30 en fêtes, le samedi”. France 2. 20 décembre 2020
24 décembre 2020
Un peu de légèreté pour Noël
Un avion fend le ciel
un éclat
une virgule
une hirondelle.
On en fait du chemin
pour pas grand chose
alors qu’une seule pensée en l’air
peut nous emmener
si haut.
Si un jour
j’oublie de rêver
s’il te plaît
prête-moi
tes ailes.
Martine Rouhart
Martine Rouhart. Dans le refuge de la lumière. Bleu d’encre. 2020. 54 pages. Extraits pp.17, 28
23 décembre 2020
Sagesse de Toni Morrison
"Là-bas, le long de la rivière, les empreintes de ses pas apparaissent et disparaissent. Elles sont tellement familières ! Qu'un enfant, un adulte y place ses pieds, elles lui vont. Qu'il les en retire, et elles disparaissent à nouveau, comme si personne n'avait jamais marché là. Peu à peu, toute trace a disparu et ce qui est oublié, ce ne sont pas seulement les empreintes de pas, mais aussi l'eau et ce qu'il y a là-bas au fond. Le reste n'est que temps qu'il fait."
Toni Morrison
Lu dans:
Toni Morrison. L'origine des autres. Trad. Christine Laferrière. Ed Christian Bourgeois. 2018. 92 pages. Extrait p.75
21 décembre 2020
Une vie de chien
"Simon alla préparer le dîner. Puis il sortit un moment dans le jardin. Pippa n’attendait que ça. Le bonheur d’être vivant, ça doit être quelque chose de ce genre, songea Simon, courir joyeusement après un bâton et le ramener à quelqu’un qui vous aime."
Francis Dannemark
Lu dans:
Su Dongpo 1037-1101, repris pas Claude Roy dans L'ami qui venait de l'An Mil. Gallimard. Coll. L'Un et l'Autre. 1994. 176 pages.
Francis Dannemark. La misère se porte bien. Kyrielle 2020. 322 pages. Extrait p.265. Tirage limité disponible uniquement chez l'auteur francis.dannemark@gmail.com
Un bel article de Jean-Claude Vantroyen dans le supplément Livres du Soir de ce weekend présente le dernier ouvrage de F. Dannemark. "Une comédie qui montre qu’on peut parler d’amour, d’amitié, de dignité sans pour cela posséder de magnifiques limousines, des yachts et des somptueuses villas au bord de la mer. Une comédie surtout qui indique qu’il faut prendre son temps, que la précipitation est toujours malvenue, qu’il faut vivre au rythme des couleurs des saisons, comme la nature. C’est un éloge de la lenteur, ce roman. Et un éloge de la tendresse. Et on se sent heureux de le lire." Rencontre avec l'auteur ce 26 décembre, de 14h à 17h, la librairie La Licorne (715, chaussée d'Alsemberg à Uccle)
19 décembre 2020
じに むかえに いきます
"Il y a une expression en japonais, "aji zvo mukae ni iku", qui pourrait se traduire par "aller chercher un goût". En cas de rencontre véritable entre deux ingrédients, il arrive que l'un "aille chercher le goût" de l'autre, pour en extraire la meilleure part. Pour peu que l'échange soit mutuel, on pourra découvrir une saveur qui n'existait pas tant que les ingrédients menaient leur vie séparément."
Ryoko Sekiguchi
Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait p.70
18 décembre 2020
Humour de couloir
"Deux planètes se rencontrent, l’une demande à l’autre : « Comment vas-tu ? — Eh bien, plutôt mal… j’ai attrapé des humains, alors forcément j’ai de la température. — Ah, tu as des humains ? T’en fais pas, ça ne dure pas longtemps.»
Humour de couloir au GIEC
Lu dans :
Idriss ABERKANE. L'Âge de la connaissance. Laffont. 2018. 374 pages.
17 décembre 2020
La mer est loin
"C'était un rêve où il pleuvait
mais toi et moi étions à l'abri
Il y avait une grande baie
sur laquelle ruisselait la pluie
et à travers l'eau brouillée
on devinait la mer tout prèsJe prenais des bûches et du petit bois
je roulais un journal en boules
Le feu déjà crépitait
elle faisait bouillir de l'eau
dans la cuisine à côté
«Veux-tu des toasts avec le thé?» (..)
Je me réveille en sursaut
dans la chambre d'hôpital
Il ne pleut pas Pas de feu
pas d'eau qui bout
La mer est très loin
Je suis seul elle n'est pas làJe voudrais tant qu'elle soit là
et mon cœur bat la chamade
Claude Roy . Hôpital Marie Lannelongue 24 juin 1982
Claude Roy. A la lisière du temps. La pluie en rêve. NRF Gallimard. 208 pages. Extrait pp. 35-36
16 décembre 2020
La vie comme un plat
"La cuisine japonaise n'est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde, mieux encore, qui se médite."
Tanizaki Junichiro
Tanizaki Junichiro. Éloge de l'ombre. Paris. Publications orientalistes de France. 1993.
15 décembre 2020
La peur de l'Autre
"Cela me rappelle une expérience que j'ai faite il y a plusieurs années lors d'une Biennale de Vienne. Dans l'une des œuvres d'art exposées, on m'a demandé d'entrer dans une pièce sombre et de me placer face à un miroir. En quelques secondes est apparue une silhouette qui a lentement pris forme et s'est avancée vers moi. Une femme. Quand cette femme (ou plutôt son image), qui faisait ma taille, s'est trouvée tout près de moi, elle a appliqué sa paume contre le verre et l'on m'a ordonné de faire pareil. Nous sommes restées là, face à face, sans parler, à nous regarder droit dans les yeux. Lentement, la silhouette s'est estompée et a rétréci avant de disparaître tout à fait. Une autre femme est apparue. Nous avons répété le geste consistant à faire se toucher nos paumes en nous regardant droit dans les yeux. Cette opération s'est poursuivie un certain temps. Chaque femme était différente par son âge, la forme de son corps, sa couleur, ses habits. Je dois dire que c'était extraordinaire, cette intimité avec une étrangère. Silencieuse, complice. Chacune acceptant l'autre. Seule à seule."
Toni Morrrison
Toni Morrison. L'origine des autres. Trad. Christine Laferrière. Ed Christian Bourgeois. 2018. 92 pages. Extrait p.64
13 décembre 2020
En remontant la vie
"À quelques mètres de la pierre vivante, l’eau surgit enfin d’une fontaine telle qu’on en voyait au temps des bergers d’Arcadie. La Marne en coulait doucement. Je me suis approché d’elle. Dans le vallon aux violentes odeurs telluriques, elle me murmurait : « Enfin, tu es là. Tu en as mis du temps ! » Que pouvais-je répondre ? J’ai joint mes deux mains pour la recueillir. Elle avait un goût étrange de menthe et de mousse, pur et coupant."
Jean-Paul Kauffmann
Rassasiée d'années, elle nous a quitté la nuit passée, paisiblement,
soucieuse jusqu'au bout de ne pas déranger. Si faible et si menue qu'on
imagine sans peine le bébé qu'elle fut à sa naissance. Jean-Paul
Kauffmann l'écrit joliment: remonter la Marne, ce n’est pas revenir en
arrière et
pleurer le passé, mais au contraire se perdre pour mieux renaître.
"C'était une vraie gentille" comme le résume sobrement un de mes fils à
qui on l'annonce, quelle plus belle épitaphe imaginer?
Un autre patient décède la même nuit, également à domicile, de
mémoire de médecin ce ne m'était jamais arrivé. Même âge, même parcours
modeste soucieux des autres avant de lui-même, lui non plus n'ayant
jamais habité ailleurs qu'à Anderlecht sa commune natale, et celle de
ses parents. Regagnant mon domicile, il me prend de faire des hypothèses
romanesques: ces deux-là se sont-ils croisés un jour au cours de leur
longue existence sur un territoire aussi limité, à l'occasion d'un
achat, d'une célébration religieuse, d'une braderie, d'une visite
médicale, autour d'un bac à sable? Se sont-ils adressé un sourire
complice, ou un commentaire sur l'orage qui menaçait? Ni l'une ni
l'autre ne sont plus là pour le dire, ils peuvent se reposer maintenant.
Lu dans:
Jean-Paul Kauffmann. Remonter la Marne. Fayard.
2013. 264 pages. Extrait p. 261
11 décembre 2020
Sagesse de Saint Nicolas
"Une sortie, c'est une entrée que l'on prend dans l'autre sens."
Boris Vian
Ce weekend j'ai rencontré Saint Nicolas. Dans la file, une petite fille lui a demandé une faveur "Ce que je souhaite, c'est que tu fasses revenir bon-papy et bonne mamy. Je suis très triste qu'ils soient partis." Décontenancé, le grand saint a aussitôt trouvé les mots qui sonnent juste: "Je ne peux pas les faire revenir, mais quand je remonterai là-haut je leur ferai la bise de ta part, promis." Ces quelques mots m'ont réconcilié avec la magie parfois controversée des contes pour enfants, avec tout ce que l'imaginaire d'un Paradis véhicule d'irréel et avec une certaine idée de la philosophie: rendre du sens à ce qui paraît totalement absurde. Saint Nicolas ne rendra pas ses grands-parents à la petiote, mais aura trouvé les mots qu'il faut pour qu'elle se soit sentie entendue, et que sa détresse ait eu le droit de s'exprimer.
Lu dans:
Boris Vian et Nicole Bertolt. Traité de civisme. Paris. Le Livre de poche. 2015. 200 pages
09 décembre 2020
Eclaboussures
"Au bord d'un ruisseau capté et conduit jusqu'au cloître via les roches — une source qui coule discrètement toute l'année —, il passe en revue son passé, les écueils, ravissements, aspirations d'antan. L'eau coule et traverse le monastère puis ressort côté sud (..) gardant l'écho intact, quel que soit l'âge, de la voix et des mots qu'elle porte."
Etienne Faure
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.58
Vieilles nouvelles
"Déballant des objets, il arrive qu'on s'attarde aux nouvelles du journal qui les enveloppait. La cause est morte de longue date et pourtant sa lecture de nouveau renvoie à l'histoire, l'anecdote, le fait du jour, l'article sur l'actrice à présent muette, si belle en son miroir. Et remettant ces objets en lumière, c'est une génération d'horizons qui resurgit, les entoure."
Etienne Faure
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.93
06 décembre 2020
Mémoire de paletot
"En remettant tes fringues d'automne tu retrouves dans tes poches les cueillettes de l'an dernier : trois châtaignes, un gland, deux faines, un colchique fané, et des morceaux de champignons secs. Telle une lecture interrompue, (..) on reprend la tournure d'esprit de la saison où on l'avait laissée (..). Un vrai poème, ce paletot."
Étienne Faure
Rien ne ressemble plus à un mémo retrouvé dans la poche que celui de
l'année précédente: si 2018 était le décalque parfait de 2019, celui de
2020 témoigne d 'un sérieux amincissement des attentes pour les mois qui
viennent. Par quelle formule remplacer l'inusable "on vous souhaite
bonheur, santé, prospérité" qui n'évoque l'ironie, le mauvais goût ou la
déconnexion de la réalité? 2021 est une année sans visage.
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.39
05 décembre 2020
L'écran qui rapproche
"Fenêtre,
toi qui sépares et qui attires,
changeante comme la mer,
glace, soudain, où notre figure se mire
mêlée à ce qu’on voit à travers. "
Rainer Maria Rilke
J.-B. Pontalis. Fenêtres. Gallimard. 2000. Folio. 3642. 174 pages. Extrait: Exergue p.11
04 décembre 2020
Regarde, je te parle
"On ne se disait rien, mais j'aimais nos conversations."
David Foenkinos
Lu dans:
David Foenkinos. La famille Martin. Gallimard. 2020. 240 pages.
03 décembre 2020
Le Noël des créatifs
"Toute vie est une aventure naviguant entre inattendu et
inespéré."
François Cheng
Un Noël à réinventer ça n'arrive pas tous les jours, et ce peut
être une chance à cueillir, créant la surprise "entre l'inattendu
et l'inespéré". Le panier repas livré à domicile, la carte de vœux
particulièrement soignée, le coup de fil qui réchauffe quand la
soirée s'annonce un peu crue, une vraie fête sans tradition cela
se mérite. Hier une jeune patiente amie est parvenue à me faire
rêver: ses parents se désolent de sacrifier le traditionnel repas
de famille, l'année fut dure pour eux deux sur le plan de la
santé, et l'isolement itou. Reclus, ils ont renoncé à garnir le
sapin, à quoi bon, on fera mieux l'an prochain. Elle a
soigneusement noté qu'ils s'absentent toute l'après-midi ce
mercredi, acheté le plus beau sapin chez sa fleuriste, renouvelé
la guirlande, emballé les cadeaux, fait dessiner les cartes par
ses enfants et à l'heure dite ce sera Jurassic World dans la maison de son enfance. Montre en
main elle dispose de trois heures pour créer un univers
digne d'un étalage des Galeries Lafayette. J'ai pensé à eux cet
après-midi, et à tout ce qu'il reste à inventer dans les semaines
qui viennent.
François Cheng. De l'âme. Albin Michel. 2016. 162 pages.
02 décembre 2020
Dans la peau d'un autre
"Toute cette frénésie était assez amusante, et parfois touchante, mais c’était aussi un peu déconcertant. Au fond, réalisais-je, les gens ne me voyaient plus, moi, avec toutes mes particularités et tous mes travers. C’était plutôt comme s’ils s’étaient emparés d’une effigie de moi-même pour l’investir d’un million de rêves différents. Je savais qu’un moment viendrait où je finirais par les décevoir, par ne pas être à la hauteur de l’image que ma campagne et moi avions façonnée."
Barak Obama
Belle réflexion sur l'image de soi, celle qu'on transmet et celle que
les autres nous renvoient. Hier soir, le film documentaire "Où sont
passées les hirondelles ?" s'attardait sur le récit d'une survie dans
une bergerie au cœur de l'Auvergne. Un agnelet d'un jour meurt auprès de
sa mère. A deux pas, un autre va mourir, surnuméraire d'une portée de
trois, délaissé par une brebis qui ne peut en nourrir que deux. La
bergère use d'une stratagème ancestral, substituant l'agnelet laissé
pour compte au mort-né. Pour le faire accepter, elle va le revêtir de la
peau de l'autre, de son odeur, du reste de chaleur qu'il abrite, de ce
qu'il fut. Se mettre dans la peau d'un autre pour naître à la vie: après
quelques hésitations, sa nouvelle mère fait le choix de la vie et
nourrit ce petit qui était mort et qui lui a été rendu. Exister demande
parfois quelques compromissions avec la réalité.
Barack Obama. Une terre promise. Fayard. 2020. 840 pages. Extraits p.186