"Vous pourrez me jeter en prison, vous ne m'enfermerez jamais,
car comme tous les écrivains, j'ai un pouvoir magique : je passe
sans encombre les murailles. (..) Chaque œil qui lit les phrases
que j’écris, chaque voix qui répète mon nom est comme un petit
nuage qui me prend par la main et m’emporte dans le ciel pour
survoler les plaines, les sources et les forêts, les rues, les
fleuves et les mers. Et je m’invite sans un bruit dans les
maisons, les chambres, les salons. Je parcours le monde depuis une
cellule de prison."
Ahmet Altan
Ahmet Altan, 70 ans, écrivain et journaliste, rédacteur en chef du
quotidien Taraf jusqu’au 15 juillet 2016, n'a pas le profil d'un
criminel et se voit incarcéré. À cette date, la Turquie s’enflamme, des
milliers de personnes
descendent dans la rue à Istanbul et à Ankara, suite à une
tentative de putsch. Le lendemain commence une vague
d’arrestations parmi les fonctionnaires, les enseignants, l’armée
et les journalistes : Ahmet Altan fait partie de ceux-là, il sera
condamné à perpétuité, accusé d’avoir appelé au renversement du
gouvernement AKP. Presque quatre ans plus tard, le journaliste
écrivain est toujours en prison après un procès aux multiples
rebondissements. Libéré en novembre 2019, il est de nouveau arrêté
quelques jours après. Écartelé
entre le bilan de sa vie et de ses actions, dans ces conditions
désespérantes il se remet à écrire, revivant son arrestation et le
souvenir de celle de son propre père arrêté de la même manière
quarante-cinq ans plus tôt et sans plus de procès. Il s’en remet à
son imagination, à la
force de l’écriture qui seule lui permet de survivre, de franchir
les murs de la prison. Comment ne pas évoquer ici la jeune
militante saoudienne des droits humains Loujain al-Hathloul, détenue en
Arabie saoudite depuis deux ans et demie pour d’improbables délits, et
dont on n'a que peu de nouvelles, l'écriture lui étant à elle refusée.
Lu dans :
Ahmet Altan. Je ne reverrai plus le monde : Textes de prison.
Actes Sud. 2019. 215 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire