05 septembre 2020

Sauvageons, je vous envie

 "La gravité d'une question se mesure à la façon dont elle affecte la jeunesse"

                Pierre Mendès France.



Et soudain, à les voir s'enlacer sur les terrasses, assis sur les genoux, sur les tables, dans des rave-parties adroitement improvisées, danser toute une nuit, puis encore une autre et encore un matin, refaire le monde à Flagey, réenchanter les soirs d'été et se réinventer un avenir, on s'aperçoit que le train est passé en ce qui nous concerne, les baby-boomers. Le regard apeuré que nous leur jetons, critique, amer, craintif pour notre propre survie, est l'éclairage que les vieux marins jettent sur les moussaillons affrontant la tempête. Ils étaient sympas pourtant pendant le confinement, attentifs à ne pas contaminer papy et mamie, respectueux des règles, et soudain on découvre des sauvageons pleins de sève et d'insouciance. Ce soir un doute m'envahit: oserais-je affirmer qu'il y a 50 ans, en pareilles circonstances, je n'aurais pas été des leurs à Nice menant la chenille et chantant à tue-tête la rengaine adaptée de la Bande à Basile "Pose les deux pieds en canard / C'est la Covid qui redémarre / En voiture les voyageurs / La Covid part toujours à l'heure." Comme l'écrivait Christine Taubira au lendemain des attentats de Paris "et puisque la jeunesse était visée, des jeunes sont revenus, en couple, en bande, en essaim sur les terrasses des cafés, prêts à faire retentir leurs rires même stridents d'angoisse, même mêlés de larmes, plaisantant sur les choses les plus sérieuses de la vie, comme faire l'amour." Au fond de moi, malgré toutes nos craintes de voir réapparaître le virus en raison de pareils comportements à risque, la part de folie que secrètent encore nos jeunes me rassure: le confinement ne les a pas rangés plus qu'il ne faut et, quand il faudra redémarrer, ils auront l'énergie que nous n'avons plus.


Lu dans: 

Pierre Mendès France. Œuvres complètes, tome 4, 1955-62. Pour une République moderne. Message à la jeunesse. Gallimard. 1987. 976 pages. Extrait page 148.
Christiane Taubira. Murmures à la jeunesse. Philippe Rey éd. 2016. 94 pages. Extrait pp.68-69

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