"La route est longue jusqu'à Bariloche. A la pampa vert épinard succèdent la steppe rocailleuse, des ciels immenses bigarrés d'hirondelles mauves et d'aigles noirs, des kilomètres et des kilomètres de pistes épineuses à travers le pays infini, puis la route s'élève, surgissent des montagnes à triple dentition, des mâchoires de requins, émergent les Andes hirsutes, le Tyrol argentin, et les Mengele longent un lac céleste lavé de neige quand enfin s'esquissent Bariloche et leur palace. Tout est merveilleux au Llao Llao, un bouquet de fleurs et des chocolats attendent les jeunes mariés dans leur chambre, démesurée et sobrement meublée, comme il se doit. Leur terrasse offre une vue panoramique des lacs Nahuel Huapi et Moreno qui enlacent la péninsule et la colline où est perché l'hôtel, un écrin de belles bâtisses aux toits pentus, comme une bourgade allemande médiévale, protégée des turpitudes et de l'agitation du monde. Le premier soir, l'agneau de Patagonie, cuit à la broche, est succulent. Martha est heureuse. À l'aube, lorsque la brume s'évanouit, elle frissonne devant tant de beauté, le paysage titanesque, les pitons violacés, les rais de lumière qui transpercent les forêts de hêtres antarctiques et de rouvres enneigés."
Olivier Guez. La Disparition de Jozef Mengele.
Bariloche, le nom m'était inconnu jusque dimanche, quand le hasard
des lectures me fit découvrir l'arrivée de Jozef Mengele dans
cette petite ville de Patagonie au pied des Andes, à 1650
kilomètres au sud-ouest de Buenos-Aires. Trois jours plus tard,
Marie-France y retrouve nos enfants et petits-enfants cyclistes au
terme de leur périple sud-américain. Nos vies sont tissées de
pareilles coïncidences: à deux jours d'intervalle, mes yeux lisent
ce que leurs yeux voient, la beauté commence par un partage.
Lu dans:
Olivier Guez. La Disparition de Jozef Mengele. Grasset. 2017. 240 pages. Extrait p. 140
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