"Je n'ai pas encore compris comment fonctionne le monde
mais je sais très bien ce que le ciel exige de moi.
Le temps du gâchis est fini.
Maintenant, je pose la main sur tout ce qui est beau."
A. Romanes
Le gitan-poète Romanès qui ne savait ni lire ni écrire répond-il à un
siècle de distance au docteur Thibault, de Roger Martin du Gard: "Je
suis terriblement esclave de ma profession, je n'ai plus jamais le temps
de réfléchir. Réfléchir, ça n'est pas penser à mes malades, ni même à
la médecine; réfléchir ce devrait être : méditer sur le monde. Je n'en
ai pas le loisir, je croirais voler du temps à mon travail. Sous le
docteur Thibault, je sens bien qu'il y a quelqu'un d'autre : moi, et ce
quelqu'un-là est étouffé depuis longtemps. Depuis que j'ai passé mon
premier examen, ce jour-là crac la ratière s'est refermée. Et tous mes
confrères sont comme moi, qui acceptent l'exigence dévorante du travail
professionnel. Nous sommes un peu comme des hommes libres qui se
seraient vendus." Lignes terribles que je redécouvre la semaine passée,
ayant lu l'entièreté des Thibault avec passion il y a quarante ans, au
mitan de mes études de médecine. De l'eau a coulé sous les ponts, et des
patients dans ma vie, mais je crois avoir échappé à la malédiction de
Roger Martin du Gard: la médecine reste la plus belle occasion de
méditer sur le monde qui m'ait été donnée.
Lu dans:
Alexandre Romanès, Sur l’épaule de l’ange, Paris, Gallimard, 2010. 90 pages. p. 41.
Roger Martin du Gard. Les Thibault. Tome III. L'été 1914. Ed. Gallimard. Collection Folio (n° 3938). 864 pages.
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