"Vous vous souvenez du fameux mot de Pascal: « Tout le mal de l'homme vient du fait qu'il ne peut se tenir seul dans une chambre. » Notre chambre était une cellule sombre, sans aucun meuble. Le dallage était froid, les murs nus. C'est dans cette nudité et ce dénuement absolu qu'il a fallu organiser cette vie intérieure nécessaire à la survie. Je dis « il a fallu », mais c'est justement l'indigence qui a favorisé cette organisation. C'est dans le silence et dans le noir, rivé à ma chaîne, que j'ai rassemblé tout ce qui était éparpillé auparavant dans ma vie d'homme libre. Enfin, je pouvais faire le ménage dans ma tête. J'en parle comme si je bénéficiais d'un privilège, alors que c'était l'horreur, mais je reconnais que dans ma vie d'homme libre, je n'avais pas eu le temps - ou l'envie - de faire ce nettoyage. Je m'aperçois ainsi qu'avant mon enlèvement, j'avais du mal à me retrouver face à moi-même. Pour le moindre temps libre, je me munissais d'un livre ou d'un journal : chez le dentiste ou voyageant dans le train ou en avion. Rester seul : c'est une chose que je ne parvenais pas à faire. Je croyais que le fait de rester seul avec ses pensées sans l'appui ou le secours d'un livre était une façon de perdre son temps..."
Jean-Paul Kauffmann
Sur la petite route menant à notre verger dans le Pajottenland, un vieil homme se repose dès que le soleil le lui permet. Immobile durant des heures, les yeux et la tête au repos, qui sait ce à quoi il rêve. Le tableau rustique qu'il forme avec son vieux banc vermoulu est rassurant: une inactivité heureuse demeure possible en ce monde.
Lu dans:
La maladie. Recueil de textes. Les Editions de l'atelier. 1995. 112 pages. Extrait page 20
Jean-Paul Kauffmann. La solitude qui nettoie. Le Figaro Magazine. 3 décembre 1988.
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