16 décembre 2020

La vie comme un plat

 

"La cuisine japonaise n'est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde, mieux encore, qui se médite."
                        Tanizaki Junichiro

 


La cuisine, une philosophie? A coup sûr un endroit où toutes les temporalités coexistent, s'invitant ensemble à notre table. Comme l'écrit Sekiguchi "aujourd'hui, il n'est pas rare de trouver dans une même assiette des tomates qui viennent d'être cueillies, un condiment préparé il y a deux ans, des anchois mis sous le sel il y a six mois et une boîte de maïs dont on ignore la date de fabrication."  Et si nos vies ressemblaient à ces plats amoureusement assemblés, fusion d'époques et de saveurs minutieusement assemblées? Qui sommes-nous en définitive au terme de notre expérience sur terre? Pour reprendre les mots de Walt Whitman : "Je contiens des multitudes." L'inusable  stéthoscope Littmann côtoie le saturomètre acquis en début de pandémie, les extraits de valériane se prescrivent simultanément aux anticorps monoclonaux, et les mains qui scrutent les maux de ventre possèdent la mémoire de centaines de ventres précédents. Suis-je vraiment le même médecin qui entend un père inquiet de l'avenir de son fils en échec, d'une fille trop tôt émancipée, d'une épouse mélancolique que celui de naguère? Comment n'être que ce plat où les temporalités coexistent sans se détruire mais en s'exaltant l'une l'autre? 



Lu dans:
Tanizaki Junichiro. Éloge de l'ombre. Paris. Publications orientalistes de France. 1993.
Ryoko Sekiguchi. Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L. 2018. Folio 6776. 142 pages. Extrait pp 59-60
Citant Walt Whitman: Anatxu Zabalbeascoa. Patti Smith: On peut difficilement   montrer son amour sans montrer sa colère. Le Soir. Lena 12 décembre 2020

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