30 novembre 2021

Prière laïque

 

"Crois aux grains, à la terre, à la mer
mais avant tout à l'homme.
Aime le nuage, la machine et le livre
Mais avant tout aime l'homme.
Sens la tristesse
de la branche qui se dessèche
de la planète qui s'éteint
de l'animal infirme
mais avant tout la tristesse de l'homme.
Que tous les biens terrestres te prodiguent la joie
que l'ombre et la clarté te prodiguent la joie
que les quatre saisons te prodiguent la joie
mais avant tout que l'homme te prodigue la joie.
                            Nâzim Hikmet
 



28 novembre 2021

Une tache et deux trois mots


 "Tu m'as dit si tu m'écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien, pas grand chose

Ma Remington est belle pourtant
Je l'aime beaucoup et travaille bien
Mon écriture est nette et claire
On voit très bien que c'est moi qui l'ai tapée
Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire

Pourtant, pour te faire plaisir j'ajoute à l'encre
Deux trois mots
Et une grosse tache d'encre
Pour que tu ne puisses pas les lire."
                    Blaise Cendrars



Depuis toujours, elle ajoute à chaque demande de prescriptions une minuscule poésie de son cru, manuscrite, et un bref mot gentil. Un presque rien qui fait tout.


Lu dans:
Blaise Cendrars. Du Monde entier, Au Coeur du Monde. Poésie/Gallimard. 2006. 432 pages

27 novembre 2021

Vous prendrez bien un petit Covid?

 "Les vraies pandémies d'autrefois étaient 100% naturelles et pas traficotées comme leurs saloperies de vaccins: on mourait sain."
                    Xavier Gorcé. Ex illustrateur humoriste au Monde.


                             

Connaissez-vous les corona parties? Revitalisées dans le nord de l'Italie, l’objectif de ces fêtes est de contaminer les participants, qui s'invitent chez un hôte infecté et décident de ne respecter aucun geste barrière. Leur but? Être immunisés après la contamination et obtenir le Green Pass, l’équivalent du Covid Safe Ticket belge, véritable sésame pour se rendre dans les fêtes et lieux publics en toute liberté, ou pour pouvoir aller travailler. Méthode naturelle non-dénuée de danger- un participant quinquagénaire en est mort la semaine passée - mais au délicieux parfum du risque et de la transgression. Vous refusez le vaccin, testez donc la maladie.



Lu dans:
Italie: les «corona parties» à nouveau très populaires. Le Soir du 25 novembre 2021

26 novembre 2021

Vers la France


   "Les voyages forment la jeunesse."
                   Proverbe
 


Elle a 94 ans, vit seule et me consulte une fois l'an pour le vaccin contre la grippe. Je la félicite pour son autonomie, elle souligne avec humour de ne pas être pressée à partir, son arrière grand-mère étant décédée à 104 ans, ce qui laisse de l'espace. "A 100 ans, elle a connu l'exode de 1940 sur les routes vers la France, assise dans une brouette que poussait un de ses petits-fils. Ce sont les Allemands qui l'ont rapatriée en Belgique le mois après."  Avec de pareils exemples familiaux on relativise les misères de l'âge.


24 novembre 2021

Grippes

 "Lors de la grippe asiatique de 1957, le système hospitalier du Royaume-Uni s’est tout bonnement arrêté pendant quelques jours, parce que tous les soignants étaient malades. On n’a donc plus accepté de gens à l’hôpital, avec les conséquences que l’on devine sur la mortalité.  Mais il n’y avait pas les médias derrière, et donc on en parlait peu." 

                Dr Patrick Berche
 


On les a toutes deux oubliées, celle de 1957 et celle de 1969, douze ans plus tard. Au plus fort de la grippe de Hong Kong, le quotidien français Libération publia le témoignage du Dr Pierre Dellamonica, ancien chef du service d’infectiologie de Nice, interne à l’hôpital Edouard-Herriot à Lyon. "On n’avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation et on les évacuait quand on pouvait dans la journée, souvent le soir.»  Les gens arrivaient en brancard dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à quinze jours, et puis ça s’est calmé. Et étrangement, on a oublié."
Observant la joie de vivre au quotidien de nos petits-enfants, on peut imaginer qu'eux aussi oublieront tout aussi rapidement ces mois qui paraissent parfois si sombres aux adultes. Comment ne pas s'en réjouir?





Lu dans:
William Bourton. Le covid devrait devenir une infection saisonnière… mais quand? Le Soir. 13 novembre 2021

23 novembre 2021

Ce que chute veut dire

 " J’aime beaucoup l’idée que le premier clown était un homme ou une femme des cavernes qui a glissé sur des feuilles et qui, voyant les autres manifester une forme d’hilarité, a recommencé le lendemain pour provoquer le même effet."

Pascal Jacob. Historien du cirque
 


Le rire irrépressible déclenché par une glissade inattendue reste incompréhensible. L'attente de la chute ou le rétablissement in extremis ajoutent un facteur d'incertitude d'autant plus drôle qu'aucune chute ne ressemble à une autre.
La drôlerie de la situation viendrait-elle du plaisir ressenti à être témoin de la perte de contrôle dans un monde  si organisé?




 
Lu dans:
Le Soir. 23 novembre 2021. p.15

22 novembre 2021

Irlande ou Caraïbes?

 "Pour qui veut fréquenter modérément les êtres humains et connaître en même temps la beauté et la tranquillité, il ne reste plus beaucoup d'autres destinations à choisir que celles qui ont mauvaise réputation sur le plan climatique."

                        Björn Larsson

 
 
Plutôt Irlande ou plutôt Caraïbes, Hébrides ou Canaries?  Après les périodes caniculaires vécues ces dernières années, les foules et les bouchons, on se prend à reconsidérer ce qui passait pour une évidence. Le soleil n'est plus l'unique critère.


Je vous souhaite une bonne semaine
CV.
 
Lu dans:
Björn Larsson. La Sagesse de la mer: Du cap de la colère au bout du monde. Poche. 2005. 256 pages. Extrait p.112

20 novembre 2021

Quand le maître oublie

« L’homme n’est qu’une bulle du néant qui se croit la mesure de l’univers »
Maurice Maeterlinck. La vie des termites.


La réflexion douce-amère de Maurice Maeterlinck, qui fut notre Prix Nobel de littérature en début de XXème siècle, s'intègre bien dans son observation méticuleuse d'une "intelligence universelle" de laquelle l'être humain n'est qu'un modeste rouage. Auréolé par le succès de sa Vie des Abeilles", diffusée à 250.000 exemplaires et bénéficiant de l'estime unanime de ses pairs, l'écrivain connut des pages moins glorieuses en fin de vie. Son dernier ouvrage consacré à la vie des termites s'inspira largement des travaux d'Eugène Marais, entomologiste discret né en 1871 près de Prétoria. Nulle part Maeterlinck ne citera ses sources, alors que lui-même insèrera sans vergogne dans l'incipit de son livre que "cet ouvrage est protégé par le droit d'auteur". Le plagiat de son œuvre par un auteur européen mondialement célèbre toucha Eugène Marais au plus profond, ce qu'il releva avec élégance: "Le célèbre écrivain belge m'a fait le grand honneur d'utiliser mes travaux, mais sans avoir la courtoisie de citer ses sources, comme il est d'usage en pareil cas". Meurtri, reconnu par ses pairs sud-africains mais guère au-delà, il nota dans ses carnets qu'"être victime de plagiat est autrement plus grave que de ne pas être reconnu sur le plan scientifique. "  Tout le monde n'a pas la chance d'être Coco Channel qui répétait: "copiez-moi, copiez-moi, j'en créerai d'autres plus belles encore." 
Pour être cohérent avec moi-même, il me faut signaler que la découverte du plagiat ne m'est guère attribuable, mais bien à David Van Reybrouck 😁  .

 
 

Lu dans :
Maurice Maeterlinck. La vie des termites. Eugène Fasquelle. 1926. Extrait p. 346
David Van Reybrouck. Le Fléau. Actes Sud Littérature. Lettres néerlandaises. 2008. 416 pages. Extrait p.344.

19 novembre 2021

Un tour du parc, un tour du monde


"Les amis ont leurs saisons, les meilleurs nous oublient un jour et nous les oublions.
Un jour ils reviennent, de Séville ou d'une passion, d'une fête, d'un peu de désespoir.
Un jour, nous revenons.
Nous sommes ensemble.
Pour un tour du parc, pour encore un tour du monde."
                Francis Dannemark.
 

 

Lu dans:
Francis Dannemark. Une fraction d'éternité. Le Castor astral. 2005. 96 pages. Extrait p.52

18 novembre 2021

Mémoire des cahiers toilés

 «C'est un triste chemin que de monter et de descendre l'escalier d'autrui.»
                            Dante. La Divine comédie



J'avais oublié jusqu'à l'existence de Dante, Catherine me l'a remise en mémoire. Son mari est décédé des suites d'une démence il y a trois ans, et pour la première fois elle est revenue à sa bibliothèque des soirées studieuses. Un exemplaire d'époque de La divine comédie semblait l'attendre sur le bureau, ouvert sur un mince feuillet jauni, recommandant de s'inspirer autant que possible de la lecture du poète italien ("Autant que savoir, douter me plaît", souligné dans le texte).  Catherine m'explique qu'elle aussi oublie, ce pourquoi elle recopie dans un cahier toilé l'essentiel de ses découvertes et réflexions personnelles. "Je m'aperçois que mémoire et réflexion sont deux notions totalement différentes" souffle-t-elle, "et si je perds l'une, l'autre fonctionne comme à  20 ans, dès lors j'écris."

Je la quitte pour rendre visite à une autre patiente, plus âgée, plus oublieuse, dont je note l'étonnant monologue: "Je ne sais pas où je suis, ni même plus qui je suis; heureusement qu'il y a des cartes d'identité, mais c'est ma fille qui la conserve car elle craint que je la perde. Dans la rue, des voisins ont placé la première guirlande, les fêtes ne doivent pas être loin, avec toutes ces images du passé qui se mêlent. Heureusement qu'on a encore tout ce bonheur dans la tête. Je n'entends plus bien, j'ai les oreilles bouchées, tant mieux, ainsi les souvenirs heureux ne pourront pas sortir. "

On quitte tout cela avec des sentiments mélangés, dehors le ciel est gris plombé d'un côté, tout bleu de l'autre, l'automne est capricieux. Comme la vie sans doute, heureusement qu'on a la possibilité de garder tout ce bonheur dans la tête.

 

17 novembre 2021

Moments lumineux


 "Aujourd'hui     c'est dimanche.
pour la première fois aujourd'hui
ils m'ont laissé sortir au soleil
et moi
pour la première fois de ma vie
m'étonnant     qu'il soit si loin de moi
    qu'il soit si bleu
    qu'il soit si vaste
    j'ai regardé le ciel sans bouger.
Puis je me suis assis     à même la terre     avec respect
je me suis adossé au mur blanc
en cet instant     pas question de gamberger.
en cet instant     ni combat     ni liberté     ni femme.
La terre     le soleil     et moi
Je suis heureux."
                                    Nâzim Hikmet. 1938.




Un jour, dans le Jardin chinois de la presqu'île de Singapour, je me suis endormi sur l'herbe. Je pratiquais la médecine depuis 25 ans et n'avais jamais connu pareil moment de lâcher-prise. Je ne saurai jamais de la sérénité de l'endroit, de son éloignement de mon cadre de vie, de la totale absence d'êtres chers ou de patients, ou de la conjonction des trois, ce qui me permit pareille détente. Je me réveillai comme d'un rêve, qui était réalité: une fraction de temps, tout était possible.




Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. 

15 novembre 2021

Poésie pour demain


 "Le plus beau des océans
    est celui que l’on n’a pas encore traversé
Le plus beau des enfants
    n’a pas encore grandi
Les plus beaux de nos jours
    sont ceux que nous n’avons pas encore vécus
Et les plus beaux des poèmes que je veux te dire
    sont ceux que je ne t’ai pas encore dits." 
                    Nâzim Hikmet. 24 septembre 1945


 

Par-delà les barreaux de la prison de Bursa, l'espoir. Treize années passées dans les geôles turques, avant de connaître l'exil, ont fait de Nâzim Hikmet un symbole, un porte-voix. Censurés dans son pays, ses poèmes ont couru le monde. Dans une période d'incertitude volontiers morose, ces quelques lignes épurées nous soufflent à l'oreille que le meilleur reste à venir.


 

Lu dans:
Nâzim Hikmet. Il neige dans la nuit et autres poèmes. Traduction de Münevver Andaç et Guzine Dino. Poésie/Gallimard. 1999. 420 pages.

Colomb ou Mercator?

 "Rien ne dit, en réalité, que voyager soit le meilleur moyen de découvrir une ville ou un pays que l'on ne connaît pas. Tout porte à penser au contraire - et l'expérience de nombreux écrivains est là pour confronter ce sentiment - que le meilleur moyen de parler d'un lieu est de rester chez soi. (./..) Émettant quelques doutes sur la réalité du voyage en Transsibérien que Blaise Cendrars avançait avoir fait, et lui ayant communiqué son scepticisme, Pierre Lazareff s'attira cette réponse célèbre de l'écrivain : "Qu'est ce que ça peut te faire, puisque je vous l'ai fait prendre à tous!"

                    Pierre Bayard

 
 


Ainsi procédait Emmanuel Kant, qui enseigna la géographie sans jamais quitter jamais sa ville natale de Königsberg. Il y suivait chaque jour en promenade le même itinéraire sans en dévier d'un pouce et sans s'aventurer dans les pays étrangers. Pays qu'il ne se privait pas pour autant, ni de décrire, ni de commenter. Symbole par excellence du voyageur casanier, il assurait qu'avec une bonne bibliothèque, on pouvait prendre un point de vue sur le monde entier. Christophe Colomb ou Mercator? Le premier parcourut le monde en caravelle, le second sur sa célèbre planisphère, les deux l'explorèrent.


Lu dans:
Pierre Bayard. Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? Éditions de Minuit. 2012. 158 pages. p. 133

13 novembre 2021

La taille de novembre

  "Retirer les fleurs fanées et les fruits encore suspendus aux arbres, votre arbuste ne perdra pas ainsi d’énergie à produire un fruit qui ne pourra pas arriver à terme. Couper les bois morts ou malades, les branches gênantes encombrant le passage et les fragiles qui ne donneront ni fleur ni fruit. Tailler les plus anciennes pour aérer le pied et lui donner de la lumière."

                        Guide du jardinier. Avant l'hiver.



Il vous restera à éliminer ces déchets verts qui feront de beaux composts, alimentant le cycle de la vie. Parmi les branches mortes, glissez les fleurs fanées, fruits gâtés, bois morts  ou malades de votre propre existence, les branches gênantes qui empêchent de progresser, tailler les plus anciennes pour aérer votre agenda et vous donner de la lumière. Les moines de Lhassa ont fait du tir à l'arc une philosophie, plus près de nous certains utilisent le jardinage.



11 novembre 2021

Libertés(s)

 "Mais au fait, qu'est-ce, être libre ? Pour moi, c'est assez simple, en partie : la liberté, c'est un bateau déjà payé et assez d'argent pour pouvoir vivre un an ou deux sans autres projets que ceux qui peuvent être modifiés sans préavis. La liberté, c'est se réveiller dans la cabine du Rustica ou ailleurs sans être obligé de faire quoi que ce soit de particulier. C'est être tranquillement au port et savoir qu'on peut appareiller à n'importe quel moment pour n'importe quelle destination. C'est faire uniquement ce qu'on a décidé, quand on en a envie. La liberté, c'est un agenda dont toutes les pages sont vierges."

                            Björn Larsson




Un port, une voile et du vent pour aller où je veux, quand je veux. Certains le réalisent, sèment le rêve pour d'autres, avant de rejoindre la terre ferme quand le vent de l'existence retombe. Qui n'a rêvé de se payer un voilier et de se laisser guider par le vent, loin de toute contrainte?  Libre, vraiment? Et si la liberté était plus exigeante que de suivre le vent au gré de nos envies? Relisant les lettres d'Etty Hillesum, on reste pensif. Quel motif peut animer une femme jeune, ardente, pour rejoindre de son propre chef le camp de transit de Westerbrok comme assistante sociale détachée par le Conseil juif? D'abord privilégiée et libre de ses mouvements, puis simple détenue, avant de monter à son tour dans les wagons à bestiaux pour Auschwitz où elle meurt deux mois plus tard, cette fin tragique et en apparence inutile pose la question: où se niche notre liberté? Est-elle un bateau payé et assez d'argent pour naviguer sur les mers, ou le choix de se perdre pour se retrouver?  Chacun aura sa réponse.



Lu dans:
Björn Larsson. La Sagesse de la mer: Du cap de la colère au bout du monde. Poche. 2005. 256 pages. Extrait p.225
Etty Hillesum. Lettres de Westerbork. Seuil. 125 pages. 1988.

10 novembre 2021

Armistices


"Ô faites que jamais ne revienne
le temps du sang et de la haine
car il y a des gens que j'aime
à Göttingen, à Göttingen

Et lorsque sonnerait l'alarme
s'il fallait reprendre les armes
mon cœur verserait une larme
pour Göttingen, pour Göttingen."
                    Barbara. Göttingen

 


Pourquoi aimer l'Armistice, ce "silence des armes" entre les nations si ce n'est parce qu'il nous incite aussi à faire taire la haine qui se terre en nous. Quand en 1964 Barbara accepte sans enthousiasme de chanter dans la petite ville de Göttingen (Basse-Saxe), encore profondément marquée par son enfance juive cachée dans un Paris occupé, elle nourrit une rancœur sourde vis-à-vis de l’Allemagne. Le récital faillit ne pas avoir lieu parce que la chanteuse joue les coquettes, invoque mille motifs pour se plaindre, exige un piano demi queue noir à la place du vieux piano droit, orné de deux chandeliers, de la petite salle de concert. Manque de chance : ce jour-là, les déménageurs de pianos sont en grève, impossible de faire venir un autre instrument. Enthousiastes, quelques étudiants lui en dénichent un, qu'ils amènent à bras. Barbara observe, s'émeut de cet amour gratuit et donne son concert, notant dans ses mémoires que "la soirée a été magnifique, mon contrat est prolongé de huit jours" et  écrit le premier jet de Göttingen. Chanson de réconciliation et de pardon qui signe l’Armistice entre elle et l’Allemagne, entre elle et son passé, entre elle et elle. Elle l'interprète le dernier soir dans une version imparfaite mi-parlée mi-chantée chargée d'émotion partagée.


Lu dans:
Barbara. Göttingen. Paroles Serf Monique Andrée.  Album Le Mal de vivre (1965) et Barbara singt Barbara (1967)

Femme à sa fenêtre

 "Il est des choses qui attendent, se dit-elle. Tout ne meurt pas. Vivre prend du temps."

                        Robert Goolrick


 
Dans sa maison de repos, elle attend à sa fenêtre d'où elle aperçoit l'entrée du cimetière d'Anderlecht où repose son mari. "Pas encore morte, et déjà enterrée", commente-t-elle pour résumer son existence. De ma besace d'histoires drôles j'en sors une, éculée, mais qui parvient à la faire rire. Cela ne saurait faire de tort

 


Lu dans:
Robert Goolrick. Une femme simple et honnête. Trad. Marie de Prémonville. 10/18. 2016. 373 p.

09 novembre 2021

La vie comme un puzzle

"Vieillir
redevenir cet enfant que plus personne ne voit
aux cheveux gris
dont on attend des choses     promesses     gloires et accomplissements       
alors que tout ce qu'il souhaite
c'est rester à jouer         avec son bâton    
regardant tomber la pluie
les mains couvertes de boue."
                Mahmoud Darwich (1941-2008)



En visite ce matin chez une patiente, on se taquine sur le big anniversaire organisé par ses enfants la semaine prochaine, pour un passage d'année somme toute banal - 84 ans, avouez ni romantique ni symbolique, à mon avis ils se disent "profitons-en tant qu'elle est encore là, comment sera-t-elle l'an prochain?". J'admire son humour décalé et cet art de rire d'elle-même et des autres sans l'ombre d'une malice. Une certaine sagesse naît des années, c'est sûr. Un puzzle de belle taille se termine sur la table, allégorique de nos existences. On sort la première pièce de sa boîte, où la placer, dans quel ciel? dans quelle mer? Puis une autre, et encore dix et encore cent qui laissent petit à petit imaginer une perspective. Arrive le stade où les jeux sont faits, où les arbres sont des arbres, le bleu de la mer des vagues, celui du ciel des nuages, on ne bousculera plus l'ensemble. Le puzzle de mon octogénaire a une allure de pleine vie, il n'y manque qu'une dizaine de pièces qu'elle tarde à placer, pas avant son anniversaire c'est sûr. Et après on verra bien. On se souhaite une bonne fin de semaine, je descends l'escalier, ferme la porte, et me dis qu'une petite fête semi-improvisée cette semaine me ferait du bien, et que cette visite n'avait vraiment rien de désagréable. 

 
 


07 novembre 2021

Ballade entre ombre et lumière.

 

        "Ma fille ne vise pas trop haut si tu n'as pas le bon arc." 
                       Valérie Tong Cuong



Déambulant vendredi soir dans Bright Brussels / Follow the Light , une magie faite promenade, le regard est aimanté par le nombre de sans-abris établis sous les porches de métro, sur des lits de fortune, leur caddie débordant de notre inutile devenu leur indispensable. Comment chasser les questions qui font les belles insomnies? Dans les bras d'une sans-nom, une gosse de deux ou trois mois dort paisiblement, ignorant encore quel est son univers. Par quel miracle aura-t-elle quitté la rue dans vingt ans, avec quel bagage santé et quelle instruction ? On a poursuivi la découverte des merveilleuses illuminations, j'ai trouvé cela beau, notre capacité d'occultation est phénoménale.



Lu dans:
Valérie Tong Cuong. Un tesson d'éternité. JC Lattès . 2021. 272 pages

06 novembre 2021

Angela

 "Je suis tombée sur elle [Angela Merkel] par hasard à Berlin au moins deux fois : dans une brasserie où elle dînait tranquillement avec sa conseillère Beate Baumann, non loin de chez elle ou de la chancellerie, et au rayon alimentation des Galeries Lafayette, sur Friedrichstrasse. C’était une petite dame perdue dans la foule qui choisissait avec gourmandise des fromages français, ses sacs en papier à la main. Aucune demande de selfie, aucun regard indiscret. Personne ne la dérangeait et c’est à se demander si les gens remarquaient même sa présence, tant elle ressemblait à Madame Tout-le-Monde."

                    Marion Van Renterghem.




La bienveillance d’Angela Merkel à l’égard de son présumé successeur Olaf Scholz fait sensation à l’échelle internationale et la distingue des passations de pouvoir sabotées, devenues malheureusement usuelles ces dernières années. Angela Merkel a profité de son dernier sommet du G20 pour présenter son successeur Olaf Scholz au président américain ainsi qu’à d’autres personnalités politiques de premier plan. Un remarquable geste de solidarité – et une entrée de rêve sur la scène internationale pour le social-démocrate. L’ancienne et la nouvelle équipe ont délibéré ensemble – aux yeux de tous. Les collaborateurs d’Olaf Scholz étaient logés à l’Hôtel de Russie, sur la Piazza del Popolo, l’hébergement préféré d’Angela Merkel dans la Ville éternelle. Ce qui était une évidence par le passé suscite aujourd’hui l'admiration dans un système de partis déchirés par la polarisation dans l’ensemble du monde occidental. Il aurait par exemple été impensable que Donald Trump invite Joe Biden, son successeur, à participer à une telle réunion, mais nombreux sont les exemples de transitions snobées dans bien d'autres pays.

La lecture du dernier ouvrage de Marion Van Renterghem sur l'ex-chancelière est un régal de lecture, et on se prend à rêver d'une vision du pouvoir moins tapageuse et plus consensuelle.



Lu dans:
Marion Van Renterghem. C'était Merkel. Les Arènes. 2021. 320 pages.