"Le reflet de lune
qui habite l'eau
au creux d'une main
réel ? irréel ?
j'ai été cela au monde."
Ki no Tsurayuki (dernier poème)
Le dernier patient raccompagné, la salle d'attente vide demeure un long
moment habitée, colorée, diverse, multilingue, multi générationnelle,
amicale. J'affectionne la modestie et la vulnérabilité extrêmes de ces
habitants du monde, si semblables et si différents, aux attentes
similaires : une école pour leurs enfants, un logement décent, échapper à
la grande souffrance et à la dépendance, un travail qui les mette à
l'abri de la misère, vivre en famille. M'interpelle aussi l'absence de
commentaires déplacés, de querelles vaines ou d'impatience inutile,
comme si les raisons communes de consulter, la conviction d'être
considérés, l'espoir d'être soulagés les rendaient solidaires les uns
des autres. L'image du frère Luc, de la communauté martyre de Tibhirine,
dont l'infirmerie paraissait offrir un dernier rempart contre la
violence et l'inhumanité m'habite dans ces moments-là. Leur fragilité
est la mienne, nous partageons de similaires moments de découragement et
de doute, mais notre aventure commune mérite d'être vécue. Entre
naviguer sur un radeau solidaire et le Queen Mary, le choix est vite
posé.
Lu dans :
Jacques Roubaud. Mono No Aware, le sentiment des choses. Gallimard. NRF. 1970. 272 pages. Extrait p.232
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