"Quand viendra le printemps,
si je suis déjà mort,
les fleurs fleuriront de la même manière
et les arbres n'en seront pas moins verts qu'au printemps dernier.
La réalité n'a pas besoin de moi."
Fernando Pessoa
Pessoa livre ici une vision embellie du sempiternel "nul n'est irremplaçable", que je commence parfois à considérer comme la plus stupide des sentences, niant toute responsabilité individuelle de l'humain sur la maison Terre et sur sa communauté de vie. L'absence qui succède à la vie peut se révéler présence, comme en musique ou dans un dialogue le silence intérieur laisse en nous la place pour la voix de l'autre. Nul n'est irresponsable de l'empreinte positive ou négative de son passage sur terre, si minime fut-elle. L'artiste Claudio Parmiggiani a illustré ceci dans sa Delocazione réalisée à Modène en 1970, quand il décida d'exposer dans une pièce qui servait de réserve au musée. En déplaçant les objets posés contre les murs (caisses, échelle), Parmiggiani aperçut les traces laissées par les objets qu'il manipulait. Remettant tout en place, il fit brûler des pneus dans la pièce, puis, la fumée étant dissipée, la vida: ne restaient alors sur les murs que les empreintes des objets, laissées par la fumée, traduction et recomposition active des empreintes de la poussière. Il s'agissait, selon l'artiste, d'exposer « des espaces nus, dépouillés, où la seule présence était l'absence, l'empreinte sur les murs de tout ce qui était passé là, les ombres des choses et des gens que ces lieux avaient abritées». Le temps, les lieux et les personnes que nous avons quittés survivront sans nous, mais pas à l'identique comme en témoignent les ombres sur les murs. Disparus, nous demeurons responsables de la qualité de leur survivance, d'infimes bonheurs ou d'un infini malheur. Notre vie en poussière nous prolonge sur les murs de leurs existences.
Lu dans:
Claudio Parmiggiani, cité par Jean-Marc Besse. Habiter un monde à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages. Extrait p.126
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