"Je montais sur le mont Épomée de l'île d'Ischia la nuit pour assister à la naissance du jour. Sur le sommet, se trouve une petite terrasse de tuf creusé, un endroit pour se tenir accroupi et attendre. La première clarté fendait la nuit derrière le Vésuve, puis le soleil dépassait la bosse du volcan et éclairait la mer. Depuis lors, j'ai l'impression qu'une énergie naissante se dégage avec plus de force au levant qu'au couchant. Je m'explique cet effet par l'effort d'ascension du soleil au milieu du ciel. En descente, en revanche, l'effet est celui d'une énergie épuisée, en chute libre. Mon ami alpiniste Romano Benet a l'habitude de dire que même les pierres savent aller en descente. "
Erri de Luca
A longueur de temps, nous transformons le réel en un récit dont
nous occupons le centre. Que le soleil se meuve autour d'une
terrasse en tuf qui nous sert d'abri, qu'il ait une vigueur
insoupçonnée le matin et marque de la fatigue le soir venu, que la
pluie soit triste, la lune pensive et le vent capricieux piétine
allégrement la plus élémentaire objectivité et la capacité de
raisonnement dont on a dit qu'elle est le propre de l'homme. Sommes-nous moins humains pour autant, pas sûr. Placé
dans un contexte donné, traversé par ses questions, ses craintes, ses attentes, l'homme n'a de cesse de tromper la
raison avec laquelle il cohabite pour convoler avec son éternel
compagnon le rêve. Et comme l'écrivait joliment Anne
Dufourmantelle, "ce que peut le rêve est immense: réparer, se
remémorer, prophétiser, écouter, terroriser, apaiser, libérer,
dévoiler et nous permettre d'oublier."
Lu dans:
Erri de Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.178
Anne Dufourmantelle, théologienne, philosophe et psychanalyste est décédée la semaine passée en tentant de sauver ses enfants de la noyade.
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