"Si Auschwitz n'a su guérir l'homme du racisme, qu'est-ce qui
pourrait y parvenir?"
E. Wiesel
Au moment de subir un multiple pontage coronaire, l'ancien déporté
à Auschwitz-Birkenau et à Buchenwald (il y perdra ses parents et
sa sœur), prix Nobel de la Paix 86, scrute le parcours de son
existence avec désenchantement. "Dans mon combat contre la haine,
que je voulais inlassable, ai-je investi suffisamment de temps,
d'énergie pour dénoncer le fanatisme sous ses masques divers? Sans
doute pas puisque, nous tous qui avons mené ce combat, devons
admettre la défaite. Une fois les camps libérés, je m'en souviens,
nous étions convaincus qu'après Auschwitz il n'y aurait plus de
guerre, plus de racisme, plus de haine, plus d'antisémitisme. Nous
nous sommes trompés. D'où un sentiment proche du désespoir. Car si
Auschwitz n'a su guérir l'homme du racisme, qu'est-ce qui pourrait
y parvenir? À nous de l'admettre: le monde n'a rien appris. Sinon,
comment comprendre les atrocités au Rwanda, au Cambodge, en Bosnie
... ? " Peut-être. Se remet-on jamais d'un retour des camps et le
regard qui a vu l'abomination peut-il retrouver la vision paisible
des paysages lumineux?
Comment sonder les pensées de cette marée
humaine, jeune, créative, avide d'échanges internationaux et de
voyages, connectée au village humain par l'Internet, développant
une culture commune multiforme au-travers d'impressionnants
réseaux sociaux. On ne peut nier qu'une humanité neuve se dessine,
dont la nouveauté inquiète parce qu'indiscernable, mais aussi
enthousiaste que ne le furent ses aînés. Les atrocités citées par
Elie Wiesel ne sauraient être oubliées, mais l'être humain - comme
l'humanité - a ses maladies, que l'on soigne et dont on se relève
plus fort qu'avant. Il faut se promener dix minutes dans les rues
paisibles de mon quartier anderlechtois pour mesurer ce qu'est une
société multiculturelle, écouter "Le monde est un village" pour
s'émerveiller de tant de musiques devenues familières à nos
oreilles, savourer à nos tables le quinoa, le boulghour, le
houmous, le couscous, le chili con carne en même temps qu'un
lièvre à la gueuze ou une bouillabaisse. Intégrés dans nos vies de
manière indélébile, mineurs mais désormais bien enracinés, ces
changements multiples de nos quotidiens sont autant de reculs du
racisme primaire dont on ne peut que se réjouir et qu'on ne
saurait minimiser.
Lu dans:
Elie Wiesel. Coeur ouvert. Flammarion 2011. J'ai Lu Récit 10190.
92 pages. Extrait p. 53