12 mars 2009

Une très vieille petite fille

"Maintenant je suis une très vieille petite fille. Vous, il me semble que vous avez grandi, je me trompe?"
Michèle Lesbre


La femme qui parle est très très âgée, et s'adresse à une jeune amie qui revient d'un long voyage à la recherche d'une personne aimée et perdue. Elle se décrit, "petite fille, je vivais dans la folle attente de la vie. Je croyais qu'un jour, brusquement, la vie allait commencer, s'ouvrir devant moi, comme un lever de rideau, comme un spectacle qui commence. Il ne se passait rien , et il se passait des quantités de choses, mais ce n'était pas ça, on ne pouvait pas dire que c'était la vie, et il faut croire  que je persiste à être une petite fille car je continue à attendre cette vie qui va venir."  On croit relire Romain Gary et son héros passionné de cerfs-volants « …j’avais sous mes yeux l’exemple d’un homme mûr ayant su conserver en lui cette part  de naïveté que ne devient sagesse que lorsqu’elle vieillit mal.» L'ami perdu de Michèle Lesbre fabrique, lui aussi, curieuse coïncidence, des cerfs-volants pour tous les gosses de son village sibérien. L'une et l'autre réfutent la trop utilisée formule "vous avez toute la vie devant vous, mais c'est quoi toute la vie?" car "il est parfaitement évident qu’un homme qui a voué toute sa vie aux cerfs-volants n’est pas dépourvu d’un grain de folie. Seulement se pose ici une question d’interprétation .Il y en a qui appellent çà « grain de folie », d’autres parlent aussi d’ « étincelle sacrée ». Il est parfois difficile de distinguer l’un de l’autre. Mais si tu aimes vraiment quelqu’un ou quelque chose , donne-lui tout ce que tu as et même tout ce que tu es , et ne t’occupe pas du reste … Il y eut sur sa grosse moustache un rapide passage de gaité . »  (Romain Gary) 

On termine sur Nâzim Hikmet, et son superbe "Nous sommes au bord de l'eau, le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie. L'eau est fraîche, le platane est immense, moi j'écris des vers, le chat somnole, nous vivons Dieu merci, le reflet de l'eau nous effleure, le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie." Zou. La journée est déjà finie. Je n'ai pu quitter sans le terminer ce dernier ouvrage de Michèle Lesbre, dont j'avais entamé la lecture ce matin dans le métro. J'y ai voyagé de surprise en surprise en y découvrant plusieurs références littéraires connues et aimées, éveillant plein de souvenirs d'anciennes lectures, de Milena (morte à Ravensbrück, amie de Kafka, Lettres à Miléna) à Claude Roy, Camille Claudel ou Olympe de Gouges (Déclaration des droits de la femme, découverte dans Ziegler la semaine passée). Quand une journée se lève sans soleil et sans projet particulier, essayez la lecture. 

Lu dans:
- Le canapé rouge. Michèle Lesbre. Sabine Wespieser Editeur. 2007. 150 p. extrait p.102
- Les cerfs-volants. Romain Gary. Folio 1467. 1983. 384 p. extraits p. 17 et p. 30  (merci à  Anne Weerens pour les extraits de Romain Gary)

Aucun commentaire: