22 mars 2009

Ce temps qui s'écoule comme eau dans le sable

"Je lis dans le marbre la saignée du temps."
Régine Van Damme
 
Les lectures de ce samedi printannier paisible ramènent dans leur filets quelques perles qui s'enfilent comme un seul collier de réflexions sur le temps qui s'écoule, insaisissable, prodigieuse machine à souvenirs sans cesse renouvelés. La nouvelle de Stefan Zweig "Le voyage dans le passé", écrite en 1929 et éditée par Grasset cette année, est allégorique en elle-même. Qu'un texte  intégré  modestement à un recueil  collectif paru à Vienne au début du siècle passé  puisse renaître près d'un siècle plus tard et se positionner en tête des ventes plusieurs semaines d'affilée, répondant par sa modernité de ton à une angoisse diffuse de notre monde actuel, interpelle: appartenir au passé et vieillir sont-ils synonymes? L'histoire âpre de ce couple séparé par un océan, un mariage et une guerre  tient en une centaine de pages et une phrase lucide: "Je compris alors que le passé ne se rattrape jamais." Phrase qui n'est pas reprise à Zweig mais à Karel Schoerman dont le dernier ouvrage sort ce mois chez Phébus: la constante de la fuite du temps ne se réduit ni à une époque, ni à une culture précises. Y répond en écho un peu désabusé le colloque sentimental de Verlaine, qui clôt et éclaire "Le voyage dans le passé": 

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
Te souvient-il de notre extase ancienne ?
Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois tu mon âme en rêve? Non.
Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches! C'est possible.
Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir !
L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

Paul VERLAINE, Fêtes galantes (1869) Colloque sentimental.

Lu dans:
Ma voix basse. Régine Van Damme. Escales du Nord. Le Castor astral. 2004. 170 pages. Extrait p.40
Le voyage dans le passé. Stefan Zweig. Grasset 2008. 175 pages. Traduction Baptiste Touveray , suivi du texte intégral allemand.
Cette vie. Karel Schoerman. Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein. Phébus. 2009. 265 pages.   

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