« Le silence est une tranquillité mais jamais un vide. Il est
clarté mais jamais absence de couleur, il est rythme. Il est le
fondement de toute pensée ».
Yehudi Menuhin
Ah les lointains souvenirs de solfège, ces silences sur une
partition musicale qui sont à la note ce que l'inspiration est à
l'expiration, se divisant en soupir, demi-soupir voire quart de
soupir, tout un programme pour surprendre, émouvoir ou dramatiser
une interprétation. Arthur Rubinstein, arrivé au terme de sa vie,
confessait ne plus avoir la virtuosité de ses jeunes années pour
égrener les notes, "mais pour ce qui est des silences, je suis
devenu imbattable." Et de partager avec malice comment placer tout
à la fin de l'interprétation d'une œuvre, juste avant la dernière
note, un long silence suspendant le public au clavier, dans
l'attente de l'ovation qu'il ne manquait jamais de susciter.
Cabotin Rubinstein? Ou connaisseur génial de l'âme humaine.
Le solfège est-il transposable dans nos vies? On peut le penser
en découvrant quelque peu l'art de la partition. On y apprend par
exemple que trop de sons continus fatiguent l’auditeur, tandis que
les pauses bien placées permettent de maintenir une écoute
agréable et harmonieuse, que les silences permettent aux musiciens
de respirer, de changer d’instrument ou de position, et d’ajuster
leur jeu en laissant le temps à une émotion de se développer ou de
s’éteindre. Si la note est l'expression même de l'instant présent,
le silence est celui de l'anticipation, préparant l'auditeur à ce
qui va suivre, moment de réflexion pour assimiler ce qui vient
d'être entendu. Le silence n’est pas simplement l’absence de son,
mais ce qui enrichit le son. Sur la partition de notre existence,
où placer les notes et les silences pour en faire une expérience
qui en vaille la peine, éviter l'épuisement des sons continus,
autoriser la respiration, ajuster le jeu le temps d'une émotion,
anticiper et assimiler ce qui vient d'être vécu.
Lu dans:
Arthur Rubinstein. Ma jeune vieillesse. Robert Laffont. 1980