"En y regardant de près, toute notre vie paraît être une recherche de jeux et de jouets. Cela commence déjà après notre naissance ; le premier jouet est le biberon ; plus tard, ce sont des poupées et des ours ; lorsque nous sommes plus âgés, nous nous intéressons à des jeux mécaniques, à des appareils photographiques et à des voitures ; pendant l'adolescence, c'est l'autre sexe ; plus tard, des études et des recherches, des compétitions de toutes sortes et le sport. Tout cela ne signifie rien d'autre, finalement, que des jeux. Jusqu'à notre mort, nous échangeons un jouet contre un autre et toute la vie n'est autre qu'activité de jouer."
Kosho Uchiyama (1912-1998)
Amusante observation, un peu réductrice. La vie nous réserve à tous ces moments rares où il n'y a plus de jouets, et ne demeure que la stupeur d'être. Nous étions perdus quand surgit l'éclaircie, une route, une rencontre, une lueur, une parole qui font croire au lendemain. Bien sûr l'homme reprendra ses jouets, en inventera d'autres pour calmer son angoisse existentielle: la peur de s'ennuyer. Mais le souvenir de ces moments d'exception demeure intact. Une patiente maintenant octogénaire, interrogée sur les instants de bonheur de son existence, en avait connu un, une seule fois, qui ne dura que dix minutes, à la recherche d'un carré de soie aux Tissus du Chien Vert pour confectionner un foulard. Soudain elle l'avait trouvé, exactement ce qu'elle cherchait depuis des mois. Sa douceur soyeuse lui caressait les mains, ses couleurs se mariaient aux mille teintes des tissus voisins, et le silence du lieu était musique. "Cela ne dura qu'un court instant, mais j'avais touché du doigt ce qu'était le bonheur. Je ne connus plus jamais pareil moment par la suite." D'aucuns ont décrit leur expérience de mort imminente (NDE, near death experience), où tous les jouets disparaissent ne laissant qu'une luminosité à la fois aveuglante et grisante. La Vie n'est qu'un jeu, entrecoupé de courtes pauses où elle n'est que la Vie.
Lu dans:
Kosho Uchiyama. Réalité du Zen : Le chemin vers soi-même. Le Courrier du Livre. 1974. Extrait. pp. 73-77
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