03 juin 2024

Des faux plus vrais que nature

 «C'était devenu surréaliste. Nous recevions les catalogues des salles des ventes et Hélène me demandait : "Et celui-là, il est à toi ? — Oui, je crois." Je ne savais plus. » 

                                        Wolfgang Beltracchi


C'est l'histoire de Wolfgang Beltracchi, un des plus importants faussaires contemporains de l'histoire de l'art, qui a inondé pendant des années les grands musées internationaux de ses toiles, toutes copies à ce point parfaites qu'elles furent jugées comme authentiques par les nombreux experts appelés à les examiner. Pirouette ironique de l'artiste, celui-ci créait parfois des copies de tableaux qui n'existaient pas, telle cette Femme nue au chapeau jaune succédant à une Femme au chapeau bleu et une autre Femme au chapeau rouge, seules les deux dernières ayant existé. Brouillant les pistes avec brio, inondant les galeries de faux tableaux sans être de vraies copies, ce sont plus de trois cents tableaux de maîtres que Beltracchi et son épouse parviennent à écouler, acquérant ainsi au fil des années une fortune colossale. Mais le diable gît dans les détails: la présence dans une toile prétendument réalisée en 1914 d'infimes traces de blanc de titane, élément chimique découvert en 1950, signa leur chute. Dès lors qu'une des toiles était réputée fausse, l'ensemble de l'édifice construit par les Beltracchi s'effondra. On s'interrogera de juger si les véritables responsables de l'escroquerie n'étaient pas les experts, spécialistes incontestés des peintres plagiés, lesquels ont validé au fil des années et sans difficulté les signatures copiées et rédigé des certificats détaillés, garantissant à chaque fois la paternité des œuvres et l'authenticité de leur provenance. 

Il existe une fin morale à cette histoire qui ne l'est pas. La condamnation portant obligation de rembourser les dizaines de millions d'euros accumulés par le couple pour mener la grande vie, Beltracchi, réfugié avec sa femme à Montpellier, continue à peindre. Des œuvres cette fois signées de son nom, et qui se vendent à des prix élevés lui permettant de rembourser sa dette. Il entame ainsi paradoxalement une seconde carrière, n'étant vraiment devenu peintre que le jour de sa condamnation. On ne peut pas mentir autant, et aussi bien, sans être intéressant.


Lu dans: 
Pierre Bayard. Et si les Beatles n'étaient pas nés. Les Éditions de Minuit. 2022. 174
Wolfgang Beltracchi. Faussaires de génie. Evergreen. 2015.  572 pages
Wolfgang Beltracchi, Faussaire et fier de l'être. Paris Match, 6 décembre 2015.

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