26 février 2022

Merveilleuse cascade

 –  Tu sais... le Dieu des Français... Il est plus généreux pour les Français que le Dieu des Maures pour les Maures  ! Quelques semaines auparavant, en Savoie leur guide les a conduits en face d'une lourde cascade qui grondait  : –  Goûtez, leur a-t-il dit. Et c'était de l'eau douce. L'eau  ! Combien faut-il de jours de marche, au désert, pour atteindre le puits le plus proche et, si on le trouve, combien d'heures, pour creuser le sable dont il est rempli, jusqu'à une boue mêlée d'urine de chameau ! (..) –  Repartons, leur disait leur guide. Mais ils ne bougeaient pas  : –  Laisse-nous encore... Ils se taisaient. (..) Ce qui coulait ainsi, hors du ventre de la montagne, c'était la vie. Le débit d'une seconde eût ressuscité des caravanes entières, qui, ivres de soif, s'étaient enfoncées, à jamais, dans l'infini des lacs de sel et des mirages. (..) Les trois Maures demeuraient immobiles. –  Que verrez-vous de plus  ? Venez... –  Il faut attendre. –  Attendre quoi  ? –  La fin. Ils voulaient attendre, incrédules que cette eau puisse couler depuis mille ans !

                            Antoine de Saint-Exupéry.



Il est des jours où on remplacerait volontiers le vacarme du monde par le bruit d'une cascade en montagne et par le silence des hommes du désert qui, émerveillés, la contemplent. Un court moment troquer les problèmes réels de notre planète, - la pandémie, la folie guerrière, la fonte des glaciers -, pour les problèmes quotidiens des êtres qui la peuplent. Avoir soif, manquer d'eau, avoir un toit, pouvoir apprendre, scruter un avenir meilleur pour les gosses. On ne saurait hiérarchiser la misère, si ce n'est par la place que les médias lui accordent et par sa proximité dans nos quartiers et notre quotidien. La plus silencieuse n'est pas nécessairement la moindre.

 


Lu dans:
A. de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 86-87

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