"L'aîné, qui craignait qu'une branche ne blesse sa sœur, l'avait emmenée plus haut dans la montagne, cueillir des asperges sauvages. Ils passèrent la matinée penchés vers le sol, à guetter les torsades hérissées d'épines. Il se fit punir, resta impassible, car pour lui cela ne se discutait pas. Abattre un cèdre était dangereux, il avait éloigné sa sœur. C'était sans appel, puisque la vie peut renverser les bonheurs si facilement. Puisqu'une enfance peut basculer, un corps ne pas répondre, des parents souffrir. Un jour, un professeur lui demanda ce qu'il souhaitait faire comme métier, il répondit : « Aîné. »
Clara Dupont-Monod
Naît-on aîné, ou le devient-on? Comment trouver sa propre voie
quand le regard des parents sur vous n'est qu'une attente, de la vie
qu'ils rêvaient d'avoir, des études qu'ils auraient aimer faire, des
réussites professionnelles inaccessibles. J'eus la chance d'avoir un
père et une mère aimants, attentionnés, une fratrie chaleureuse, un
environnement protégé, mais le logiciel était écrit d'avance comme un
roadbook du Paris-Dakkar. Je serais l'aîné, passant sans transition de
la prime enfance à l'âge responsable. Investi d'une confiance parentale
sans borne, il s'agira d'être exemplaire et on le restera toute sa vie,
court-circuitant ces mille bêtises, jeux, rires, bagarres, concours
stupides qui semblaient tant amuser mes frères et sœurs bien plus
jeunes. Ils jouaient, je lisais et tant d'années plus tard quand mes
petits-enfants sortent les jeux de société, un ballon, un kit de
pétanque je n'ose reconnaître que je n'en connais ni les règles, ni le
plaisir. C'est drôle quand même, la vie.
Lu dans:
Clara Dupont-Monod. S'adapter. Stock. 2021. 174 pages. Extrait p.40
Clara Dupont-Monod. S'adapter. Stock. 2021. 174 pages. Extrait p.40
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