"Une bouteille de pils avec, à l'intérieur, un message scellé écrit au crayon de menuisier: «Par un beau soir d'été de 1868 j'étais ici avec ma chérie. » Pas de nom, pas de signature. Juste ce message de bonheur euphorique adressé à une postérité inconnue."
Henning Mankell
Que de livres sur le bonheur qui ne possèdent pas la force
d'évocation que cache cette bouteille. Les moments heureux
surgissent là où on les attend le moins, on tente de les agripper en
vol, ou du moins témoigner de ce qu'ils ont existé. Il y a peu, une
patiente septuagénaire me racontait avoir connu UN court moment de
bonheur inoublié dans son existence, dans un grand magasin de
textiles près du canal, il y a trente ans. Soudain, sans raison
précise, ni amour, ni promotion, ni guérison de quoi que ce soit,
elle s'était sentie incroyablement heureuse, dans une plénitude
jamais connue jusque là. La musique était belle, les étoffes douces
et colorées, une paix irréelle régnait sur les lieux et elle, elle
planait. Lentement, elle est revenue sur terre, s'est acheté une
petite robe qu'elle a encore, est sortie et a attendu le tram. Elle
n'a plus jamais connu pareil moment par la suite, et n'en est même
pas triste puisque c'était si bon et qu'au moins elle peut témoigner
de ce qu’est avoir été heureuse. Je suis resté songeur devant la
force de ce récit et l'absence totale des raisons habituelles de ce
moment heureux, que rien ne me permet de mettre en doute. La chimie
des sentiments demeure un continent à explorer.
Lu dans:
Henning Mankell. Sable mouvant. Seuil 2015. Points 380 pages. Extrait p. 105
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