Tu vas mourir
que d’autres te disent ce qu’ils veulent je ne peux mentir,
tu ne peux pas y échapper
doucement je pose ma main droite sur toi tu la sens à peine
je penche la tête tout près et la cache à moitié
je suis assis tout contre silencieux,
Le soleil perce en directions imprévues
de fortes pensées t'emplissent et la confiance
tu souris
tu oublies que tu es malade comme j'oublie que tu es malade
tu ne vois pas les médicaments tu ne remarques pas les amis qui pleurent
je suis avec toi. "
Walt Whitman
Il y a dix minutes à peine, je constatais le décès d'une très
ancienne patiente. Elle avait 96 ans, je la connaissais depuis 63
ans, son jardin jouxtant celui de mon enfance. Une fois par an, en
famille, ils soutiraient un Porto du Douro dont les vapeurs
parfumées nous grisait, et c'était fête. Ne retiendrais-je que
cette image, cela valait la peine de vivre. Il y a six semaines,
je lui annonçai le décès de son fils unique, juste mon âge,
était-ce une bonne idée que de le lui dire? Elle n'eut que
quelques mots: laisse-moi seule maintenant, que je pleure à
l'aise. Une fois encore, je fus le messager du malheur, rôle que
je connais maintenant à merveille. Elle est morte doucement, sans
qu'on sache de quoi. Compléter le certificat de décès, et ses
causes, m'a renvoyé à toutes les incertitudes d'une pratique déjà
longue: on meurt de quoi quand on est en fin de vie, et que rien
ne vous rattache plus à rien. Il était minuit, et je garde un
souvenir ému de la manière dont le portier de la maison de repos
du CPAS d'Anderlecht, et les infirmières de nuit, m'ont accueilli.
Tout était illuminé, alors qu'à cette heure habituellement c'est le
Bronx, hommage discret rendu à une très vieille pensionnaire qui
partait par la grande porte.
Lu dans:
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998
Walt Whitman. À un qui va bientôt mourir. Les cent plus beaux poèmes du monde, par Alain Bosquet. Le Cherche-Midi. 1979.
1 commentaire:
Magnifique hommage ! Tout en respect et en délicatesse ! C'est un régal que de vous lire tous les matins.
Maryse
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