"C'est l'histoire d'un sculpteur inuit venu découvrir la très vieille grotte Chauvet, en Ardèche, aux parois superbement décorées il y a trente-deux mille ans par des artistes capables de figurer des lionnes enlacées, des chevaux au galop, des rhinocéros et des mammouths. Comme il s'imprégnait de ces fresques remontant à l'enfance de l'humanité, ses hôtes lui ont présenté un bloc de talc blanc prélevé dans les carrières de Luzenac, avec mission d'y modeler un phoque en guise de souvenir. L'homme a accepté mais les jours filaient et la pierre demeurait intacte. On s'interrogea, on s'inquiéta. La matière était- elle de mauvaise qualité? L'Inuit manquait-il d'inspiration ? Une semaine s'écoula et toujours rien. Gentiment sommé de s'expliquer, l'Inuit finit par donner sa réponse: cette pierre ne renfermait pas un phoque mais un ours, affirma-t-il sans hésiter. Un ours? se sont exclamés ses hôtes. Un ours, a confirmé l'homme du pôle, ajoutant qu'il ne saurait sculpter un animal étranger à l'âme de ce bloc de talc."
E. Fottorino
J'ai souri un instant, et puis plus. Nous sommes pétris de "Qui
veut peut" et les atermoiements d'un sculpteur inuit à l'écoute
d'un bloc de talc ne nous atteignent guère. Cette méconnaissance a créé des banquiers ayant rêvé d'être instituteurs, des
médecins qui se destinaient au théâtre, des guichetiers qui se
voyaient explorateurs des pôles, des danseuses étoiles regrettant
les mômes qu'elles n'ont pu faire. On rêve tous d'offrir le
meilleur à nos têtes blondes, même si ce meilleur a la forme d'un
ours quand nous y voyons un phoque.
Lu dans:
Eric Fottorino. Questions à mon père. NRF Gallimard. 2010. 203 pages. Extrait p. 125
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