16 septembre 2008

Un système devenu fou

"Une industrie financière se constitue qui ne cesse d'affiner l'art de faire de l'argent en n'achetant et ne vendant rien d'autre que diverses formes d'argent."
André Gorz

Ce n'était qu'un fait-divers, passé inaperçu. Le philosophe et écologiste André Gorz, âgé de 84 ans, s'est donné la mort le 24 septembre 2007, en compagnie de sa femme, Dorine, gravement malade. Le message testamentaire qu'il avait transmis une semaine auparavant à la revue écoRêve est magnifique de gravité et de clairvoyance, et m'est revenu en mémoire ce matin en découvrant les faillites des deux plus grandes banques américaines survenues hier. Gorz y dit l'effroi que lui inspire un capitalisme devenu fou.

«La question de la sortie du capitalisme n'a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d'une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu'externe qu'il est incapable de dépasser et qui en fait un système qui survit par des subterfuges à la crise de ses catégories fondamentales: le travail, la valeur, le capital. [...] Le système évolue vers une limite interne où la production et l'investissement dans la production cessent d'être assez rentables. Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L'accumulation productive du capital productif ne cesse de régresser. Aux États-Unis, les 500 firmes de l'indice Standard & Poor's disposent de 631 mi11iards de réserves liquides; la moitié des bénéfices des entreprises américaines provient d'opérations sur les marchés financiers. En France, l'investissement productif des entreprises du CAC 40 n'augmente pas même quand leurs bénéfices explosent [...]. Une industrie financière se constitue qui ne cesse d'affiner l'art de faire de l'argent en n'achetant et ne vendant rien d'autre que diverses formes d'argent. L'argent lui-même est la seule marchandise que l'industrie finan¬cière produit par des opérations de plus en plus hasardeuses et de moins en moins maîtrisables sur les marchés financiers. [...] L'économie réel1e devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l'industrie financière. Jusqu'au moment, inévitable, où les bul1es éclatent, entraînent les banques dans des faillites en chaîne, menaçant le système mondial de crédit d'effondrement, l'économie réelle d'une dépression sévère et prolongée. »

Lu dans :
André Gorz, «Le travail dans la sortie du capitalisme», écoRev', janvier 2008.

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