"Tout ou presque tout ce qui me concerne a été décidé pour moi sans qu'on m'ait donné la parole. J'ai été mis devant le fait accompli.
Je suis né. J'aurais peut-être préféré ne pas naître. Je suis né homme. J'aurais peut-être désiré être cheval, papillon, platane. Je suis né sur cette terre et une autre planète meilleure existe peut-être ailleurs qui ne m'a pas été proposée. Je suis né Français, et peut-être Portugais, Canaque, Bulgare ou Tibétain me serais-je senti plus heureux. Je suis né dans ce siècle et des milliers d'autres siècles passés ou futurs auraient pu m'accueillir.
J'aurais dû être consulté."
Thierry Maulnier
Comme au chiot qui va où il veut, au bout de sa longue laisse, on
laisse miroiter au petit humain son énorme liberté de choix dès qu'il
prend conscience de son existence. En mesure de choisir, quand tous les
choix essentiels sont déjà faits, imposés de l'extérieur. Il a le choix
de la place dans un train fou dont il ignore comment il y est entré,
vers où il se dirige, et quand il arrivera. Désespérant? Pas
nécessairement. Le paradoxe est que si on libère le chiot de sa laisse,
il y revient rapidement par confort, habitude et besoin de sécurité, qui
lui apparaissent préférables aux vastes escapades. La liberté de choix
sans limite donne-t-elle le bonheur? Ce n'est pas sûr. L'immensité des
possibles, quand on réalise qu'on ne peut tout embrasser, tout
découvrir, tout goûter n'est-elle pas en définitive la voie toute tracée
vers le désespoir? A chacun d'y répondre selon son humeur du jour, les
exemples qui l'entourent et cette mystérieuse alchimie qu'on nomme le
tempérament.
Lu dans:
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. 1977-1979. NRF Gallimard. 1982. 326 pages. Extrait p.15
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