06 avril 2022

Tant qu'il y aura des hommes

 "Ça leur fait mal, aux hommes, pourtant maîtres du monde, de ne pouvoir maîtriser une partie si cruciale de leur anatomie ; ça les énerve qu'elle puisse se mettre au garde-à-vous alors qu'ils ne lui ont rien demandé, ou refuser d'esquisser le moindre mouvement quand ils en ont le plus urgemment besoin. D'où leur tendance à se cramponner aux choses qui demeurent rigides de façon fiable : fusils-mitrailleurs, médailles, attachés-cases, honneurs, doctrines."

                            Nancy Huston
 


Le tableau, longtemps occulté, de Gustave Courbet "L'origine du monde" représente sans complaisance un sexe féminin. On s'offusque moins des concentrations de force et de pouvoir n'offrant au regard que des hommes, le sexe bien dissimulé par les règles de la bienséance, liés si souvent à la destruction du monde. Autour de la table du Kremlin, rien que des hommes, dans les milliers de tanks russes sur les routes d'Ukraine des hommes, face à eux pour les détruire encore des hommes. On n'est pas fier d'en être. Les récents massacres de la guerre en Ukraine laissent sans voix, démonstration par l'absurde où peut mener la notion d'ennemi global, à détruire dans son entièreté. On ne s'attaque plus seulement au combattant armé qui vous fait face, mais on élimine aussi sa femme, sa mère, sa fille, ses grands-parents. La faiblesse ne constitue plus une protection, au contraire. Dans la désormais emblématique retraite de Boutcha ont été filmées les fusillades aveugles contre les militaires, les civils sans distinction d'âge ou de sexe, et jusqu'au bétail paissant dans les prés bordant la route des tanks. A quelle faille dans la tête correspond donc ce besoin irrépressible, ce plaisir, de prendre la vie à une femme, un enfant, une vache et son veau? Est-ce un simple hasard si le terme de débandade s'attache aussi bien à la retraite sans ordre de troupes armées et à une défaillance de la puissance masculine? Nancy Huston offre une ébauche de réponse.

 

Lu dans:
Nancy Huston. Infrarouge Actes Sud. 2010. 320 pages.

Aucun commentaire: