07 avril 2022

Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain (Prévert)

 "C'est un homme pauvre qui s'installe tous les matins sur un banc devant un boui-boui parce que, même s'il ne peut pas s'acheter de petit déjeuner, il adore l'odeur du bacon en train de frire. Alors il reste là assis et le hume tout son saoul. Mais le patron du restaurant le remarque et au bout de quelques jours ça commence à lui taper sur les nerfs alors il sort avec une assiette en fer blanc et dit : "Maintenant il faut payer tout le plaisir que vous a donné mon bacon". L'homme pauvre glisse une main dans sa poche, sort une pièce d'argent et la fait tomber dans l'assiette. Ensuite il la ramasse et la remet dans sa poche. "Ce n'est pas ce que j'appelle payer !" dit le patron furieux, et l'homme pauvre lui dit en souriant : " Ça me paraît juste : moi j'ai l'odeur de votre bacon, vous avez le bruit de mon argent !"

            Nancy Huston


 

La pub télé, après le JT, n'est-elle pas le rituel qui a progressivement remplacé les histoires avant le lit pour les enfants?  C'est court, cela raconte des malheurs qui finissent bien, et après ça on dort. S'y ajoutent maintenant les clips de campagne avant le premier tour en France ce dimanche. Ici aussi, c'est court et ça finit toujours bien. Mais comment se débarrasser de l'impression tenace que ce qui est vendu n'est que l'odeur du bacon ou le bruit que fait l'argent qui tombe dans l'assiette?
 

Lu dans:
Nancy Huston. Lignes de faille. Prix Femina 2006. Actes Sud 2006. 496 pages

Aucun commentaire: