"Ma fille, elle n'a que faire des esprits de la nuit. Sa langue maternelle n'est pas le luo [ou dholuo, langue parlée au Kenya et en Tanzanie]. Pas même le swahili. C'est l'anglais. Quand je l'entends parler avec ses copines, c'est du charabia pour moi. Elles prennent un peu de tout... de l'anglais, du swahili, de l'allemand, du luo. Il m'arrive d'en avoir marre, et de leur dire: «Apprenez à parler au moins une langue correctement ! »
— Mais je commence à me résigner... il n'y a rien à faire. Les jeunes vivent dans un monde mélangé. C'est tout aussi bien, je suppose. Finalement, je préfère avoir une fille authentiquement elle-même plutôt qu'authentiquement africaine."
Rukia Odero
On devra s'y faire: nos petits-enfants férus de mangas, de clips
courts sur TikTok, d'une écriture condensée et phonétique, et de tant
d'autres choses dont nous ignorons jusqu'à l'existence sont aussi
cultivés que nous le fûmes, authentiquement eux-mêmes dans un monde aux
influences multiples. Comme l'est aussi d'ailleurs la patiente africaine
reçue hier en consultation, au visage parcheminé et au langage mêlant
un français minimal aux mimiques non-verbales et aux phrases courtes en
swahili destinées à sa fille pour les faire traduire. Cette patiente
emporte sur elle une enfance et une scolarité lointaines en brousse, une
adaptation hasardeuse à des conditions de travail occidentales, un
environnement bilingue, le suivi scolaire difficile de ses propres
enfants. La difficulté de rester authentique à soi-même dans pareil
parcours excuse bien quelques approximations linguistiques.
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