06 février 2021

Une authenticité floue

 

"Ma fille, elle n'a que faire des esprits de la nuit. Sa langue maternelle n'est pas le luo [ou dholuo, langue parlée au Kenya et en Tanzanie]. Pas même le swahili. C'est l'anglais. Quand je l'entends parler avec ses copines, c'est du charabia pour moi. Elles prennent un peu de tout... de l'anglais, du swahili, de l'allemand, du luo. Il m'arrive d'en avoir marre, et de leur dire: «Apprenez à parler au moins une langue correctement ! » 
—    Mais je commence à me résigner... il n'y a rien à faire. Les jeunes vivent dans un monde mélangé. C'est tout aussi bien, je suppose. Finalement, je préfère avoir une fille authentiquement elle-même plutôt qu'authentiquement africaine."
                    Rukia Odero

 

On devra s'y faire: nos petits-enfants férus de mangas, de clips courts sur TikTok, d'une écriture condensée et phonétique, et de tant d'autres choses dont nous ignorons jusqu'à l'existence sont aussi cultivés que nous le fûmes, authentiquement eux-mêmes dans un monde aux influences multiples. Comme l'est aussi d'ailleurs la patiente africaine reçue hier en consultation, au visage parcheminé et au langage mêlant un français minimal aux mimiques non-verbales et aux phrases courtes en swahili destinées à sa fille pour les faire traduire. Cette patiente emporte sur elle une enfance et une scolarité lointaines en brousse, une adaptation hasardeuse à des conditions de travail occidentales, un environnement bilingue, le suivi scolaire difficile de ses propres enfants. La difficulté de rester authentique à soi-même dans pareil parcours excuse bien quelques approximations linguistiques.




Lu dans:
Barack Obama. Les rêves de mon père. Presses de la Cité. 2008. 454 pages. Extrait p. 447

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