"L'action se situe dans un charmant petit village. Un matin, une dame arrivée par le bus se présente au bar le Café du Commerce qui fait office de réception de l'hôtel du même nom. Elle est de passage, mais n'est pas sûre de pouvoir prendre le dernier bus du soir et réserve une chambre. Elle donne un billet de 50 euros au patron de l'hôtel en guise d'acompte, en s'excusant pour la petite tache qu'il y a sur le billet. Puis elle vaque à ses occupations. Le patron s'apprête à ranger le billet quand un des poivrots du bar l'interpelle : - Jean-Pierre, tu me dois justement 50 euros sur la dernière partie de cartes ! Pour avoir la paix, Jean-Pierre lui refile le billet de 50 euros de la petite dame. En sortant, le poivrot se rappelle qu'il doit encore 50 euros au boulanger pour les galettes des rois du début d'année. Il entre et lui donne le billet. Dans la queue derrière lui, le dentiste du village fait signe au boulanger: - 50 euros, génial! C'est exactement ce que tu me dois pour tes deux dernières visites! Le boulanger lui donne à son tour le billet. Le dentiste, à peine dehors, se rend directement à son QG, le Café du Commerce. Là, il paie avec le billet son ardoise de la semaine, du coup le patron lui offre un verre. À cet instant, un client entre pour réserver une chambre, pas de chance c'est complet! Coup de chance, la petite dame revient et dit, soulagée: - Finalement j'ai fini plus tôt que prévu, je n'ai plus besoin de la chambre. Parfait! Tout s'arrange, le patron lui redonne le même billet taché, billet que la dame reconnaît. Sur quoi elle lui avoue : - Merci c'est sympa, de toute façon il était faux et elle le déchire."
Ou comment faire du vrai avec du faux et au passage faire du bien
à tout le monde! Chacun a été payé, toutes les dettes ont été
annulées, pourtant le billet était faux mais personne ne le
savait. La monnaie n'a d'autre valeur que celle que nous lui
accordons, confiants qu'elle sera acceptée en paiement sans
difficulté par les autres. Une innocente petite fable économique
qui aide comprendre comment fonctionne notre monde. Ou comment un
petit opuscule lu en vacances pendant la crise grecque parvient à
nous dérider.
Ce texte étonnant appelle bien des commentaires (merci Manu pour ta communication du texte de Jacques Attali):
-1. Quel est le tour de passe-passe? Comment est-il possible de faire disparaitre l'ensemble des dettes de tout un village sans que personne ne dépense un sou (sauf peut-être l'hôtelier, qui a perdu la disposition de sa chambre pendant le temps, même court, pendant lequel le client l'avait louée)? Tout simplement parce que, chaque villageois a une dette à l'égard d'un autre; de façon circulaire. Il suffit donc, pour l'annuler pour tous, de l'annuler pour chacun.
-2. La situation globale de l'économie réelle ressemble à la situation de ce village, car chacun, dans le monde, est à la fois créancier de l'un (au moins sa banque) et débiteur d'un autre (au moins une banque), et même de plusieurs autres. Et le total des dettes, par définition, est égal à celui des créances.
-3. Cette histoire donne une belle leçon d'économie: personne, dans les institutions financières au moins, ne pense à rembourser sa dette; au contraire, beaucoup s'emploient, avec l'argent nouveau qu'ils peuvent recevoir, à en créer de nouvelles, pour eux-mêmes et pour d’autres.
-4. Si l'argent que distribue en ce moment de façon presque illimitée, dans chaque pays, la Banque Centrale (ici, le touriste) servait à rembourser les dettes de tous , et d'abord celles de l'Etat (ici, l'hôtelier), plutôt qu'à en accumuler de nouvelles, en le dépensant, la crise pourrait etre résolue beaucoup plus vite et plus sainement qu'aujourd'hui, où le recul de la crise s'annonce comme la préparation d'une autre, bien plus terrible, par accumulation de dettes insurmontables.
-5. Peut être faudrait-il enseigner ainsi l'économie. Sans doute comprendrait-on mieux quelques idées simples. Et d'abord, que la priorité d'une économie saine, c'est d'utiliser l'emprunt pour investir, et pas pour consommer. Mais de cela, le système financier ne veut pas entendre parler. Même aujourd'hui, alors que la crise est encore intense, il n'a qu'une seule préoccupation: retourner au plus vite à son métier principal, endetter les autres, pour faire le maximum de profits.
Lu dans:
Christophe Alévêque et Vincent Glenn. On a marché sur le dette. Ed
de la Martinière. 2015 . 180 pages. Extrait p.53
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