« Dis-moi où est planté le clou qui tient ton tableau, je te dirai combien il vaut. »
Sagesse d'un collectionneur
La provenance prestigieuse d'une œuvre et son pedigree, les
galeries d'art où elle fut exposée et mise en vente, le renom de
ses acheteurs déterminent davantage sa valeur marchande - et
parfois même son authenticité - que le trait du pinceau qui l'a
créée. Il se dit que les galeristes de renom apprécient glisser
quelques faux plus vrais que nature dans leurs propositions de
vente, certifiés et authentifiés par les plus grands experts ou
mieux encore par la famille du peintre, car ces œuvres sont de
véritables jackpots financiers. Payer à vil prix à un faussaire
une œuvre ce qu'on va revendre sans risque en place publique à des
mécènes fortunés constitue un plaisir rare pour un marchand d'art.
La principale qualité du grand faussaire est d'accepter de ne
guère laisser de trace. C'est son métier, sa souffrance et sa
joie. "Durant toutes ces années, au moment même où je finissais un
tableau, il ne m'appartenait déjà plus. Dès qu'il quittait mon
atelier, je n'étais plus rien, je disparaissais complètement. Je
ne pouvais évidemment jamais le reconnaître ou le revendiquer
comme mien, puisque précisément il était censé être de la main
d'un autre. Il existait désormais seul, orphelin en quelque sorte
de celui qui l'avait peint, et attribué à un père qui ne lui avait
pas réellement donné la vie." Guy Ribes fut un de ces grands
faussaires professionnels, un de ceux dont on se dit "qu'on ne
peut pas mentir autant, et aussi bien, sans être intéressant".
Inconnu jusqu'au jour de son arrestation (en 2005) et de son
procès (en 2010), il entame une seconde carrière, confiant "n'être
vraiment devenu peintre que le jour de son arrestation." Son
avocat aura cette belle formule "Si Picasso était vivant , il
l'aurait embauché." Une autobiographie qui se lit comme un roman.
Un (petit) doute m'a effleuré toutefois, en tournant la dernière
page: et si ce faussaire de génie avait inventé toute son
histoire, pour en faire un livre passionnant?
Il demeure une belle réflexion sur l'authenticité de la création
artistique, et ses limites. Quand Yehudi Menuhin en état de grâce
interprète Mozart et Bach, on dit qu'il les illumine de son
talent. Quand Guy Ribes se laisse imprégner durant des semaines
par l'oeuvre de Matisse, ou de Picasso, partant vivre dans les
lieux où ils ont peint pour mieux saisir la luminosité du trait,
écumant les boutiques et les brocantes à la recherche de papiers
et de pastels d'époque, s'imprégnant de leur écrits pour mieux
saisir leur personnalité intime, il reste un faussaire alors
qu'aucune de ses créations - c'est sa fierté - ne reproduit à
l'intégrale l'oeuvre originale mais les réinterprète avec des
différences qu'il relève avec gourmandise, allant jusqu'à suggérer
que certains de ses faux étaient plus réussis que l'original...
Guy Ribes. Autoportrait d'un faussaire. Presses de la Cité. 2015 236 pages. Extraits pp. 142, 224
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