"Pendant que son équipe tournait La Ruée vers l’or en 1923, une discussion animée se déroulait dans le studio à propos du scénario. Et une mouche n’arrêtait pas de distraire l’attention des participants, si bien que Chaplin, furieux, demanda une tapette et essaya de la tuer. En vain. Au bout d’un moment, la mouche atterrit sur la table à côté de lui, à sa portée. Il prit la tapette pour l’écraser, puis s’arrêta brusquement et la reposa. Lorsque les autres lui demandèrent pourquoi, il les regarda et répondit : « Ce n’est pas la même mouche. "
Une enfance passée dans des établissements publics, une maison de
correction d’abord puis une école pour les enfants indigents, l'a
peut-être rendu sensible aux punitions collectives. Hannah, sa mère,
à laquelle il était profondément attaché, était incapable de
s’occuper de lui et passa une grande partie de sa vie enfermée dans
un hôpital psychiatrique. Roscoe Arbuckle, un de ses collaborateurs
favoris avait déclaré que son copain Charlie était un "génie comique
complet, sans aucun doute le seul de notre temps dont on parlera
dans un siècle". Le siècle a passé et les propos d'Arbuckle se sont
révélés vrais, les films de Charlot gardant la permanence « d'un
commentaire intime sur le XXIe siècle ». Comme le présumait le gamin
de 10 ans, " les mots manquent pour désigner ou expliquer le cours
quotidien des ennuis, des besoins non satisfaits et du désir
frustré." Le clown sait que la vie est cruelle. L’énergie des
pitreries de Chaplin se répète et augmente à chaque fois. A chaque
fois qu’il tombe, c’est un homme nouveau qui retombe sur ses pieds,
nouveau et unique. Comme sa mouche?
Lu dans :
John Berger. L’art de la chute. Le Monde diplomatique. Décembre 2014. Extrait page 22.
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