30 novembre 2014

Une ombre devant soi


"Où qu'on aille
on s'emporte toujours avec soi."
    Rip Hopkins


(It doesn't matter where you go 
you always take yourself.)

Willkommen, bienvenue, welcome  au Cabaret


"Il y avait un cabaret, et il y avait un maître de cérémonie. Il y avait une ville appelée Berlin, dans un pays appelé l'Allemagne. C'était la fin du monde. "
            Cabaret. Willkommen (Reprise finale).

Dans un cabaret transgressif du Berlin des années trente, Fräulein Schneider et Herr Schultz fêtent leurs fiançailles,  Schultz lui chante que "toute personne est responsable de beauté, petite ou grande", confiant dans cette Allemagne dont il se croit encore citoyen malgré sa judéité. Un bruit de verre brisé de vitrine qu'on abat résonne comme un sinistre augure. Il la rasssure que ce ne sont que des enfants espiègles qui ont fait une bêtise. Dans la grande salle du Théâtre National, émerveillé par la magie de la comédie musicale qui fit les beaux jours de Broadway depuis sa création en 1966, je suis replongé sans l'avoir programmé le moins du monde dans ma lecture de Charlotte terminée la veille. L'art est un remue-méninges.


Vu dans:
Cabaret. Comédie musicale d’après la pièce de John Van Druten et l’histoire de Christopher Isherwood. Mise en scène Michel Kacenelenbogen. Par la compagnie Le Public au Théâtre National, boulevard E. Jacqmain 111, Bruxelles, 0800-944.44, www.theatrelepublic.be. Jusqu'au 7 décembre 2014.

28 novembre 2014

Une berceuse allemande de son enfance


"Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz.»
    Billy Wilder

"Certains de leurs amis vont quitter l'Allemagne.
On les incite à faire de même.
Paula pourrait chanter aux États-Unis.
Albert pourrait facilement y trouver du travail.
Non, dit-il.
C'est hors de question.
C'est ici, leur patrie.
C' est l'Allemagne.
Il faut être optimiste, se dire que la haine est périssable.
(..)
Brunner, en personne, vient leur parler.
Il prend sa voix la plus affable.
Si chacun y met du sien, tout se passera bien.
On parle d'un État juif qui vient d'être créé, en Pologne.
Nous allons vous donner des reçus pour votre argent.
Il vous sera restitué sur place.
La grande communauté de Cracovie veillera à votre installation.
Chacun trouvera un emploi conforme à ses goûts.
Qui y croit vraiment?
Tous, peut-être.
Il faut garder espoir.
(..)
Le temps passe lentement.
Étrangement, une lueur d'espoir apparaît ici ou là.
De très rares et courts moments.
Charlotte se dit qu'elle va retrouver sa famille.
(..)
Alexander dit que sa femme est enceinte.
Alors, on fait en sorte de lui laisser une petite place.
Pour qu'elle puisse s'asseoir, les genoux dans le visage.
Personne ne peut l'entendre, mais elle chante en elle.
Une berceuse allemande de son enfance.
Le train démarre enfin, offrant un filet d'air."

Charlotte Salomon, peintre, est morte quelques jours plus tard à Auschwitz en 1943 à vingt-six ans. Peu avant sa déportation, elle confiait les gouaches de « Leben? oder Theater? » à un médecin-ami avec ces mots : «Gardez-les bien, c’est toute ma vie.» Depuis 1975, c'est le musée juif d'Amsterdam qui détient cette œuvre d’art autobiographique et unique en son genre. Le beau roman de David Foenkinos, pris Renaudot et Goncourt des lycéens 2014 lui rend vie. Je le referme avec émotion. 


Lu dans:
David Foenkinos. Charlotte. Gallimard. NRF. 2014. 222 pages. Extraits pp 55, 205-207

1938, départ sans retour


"Le quai de gare ressemble à un rivage
Le décor idéal à l'ultime
Alfred approche sa bouche de l'oreille de Charlotte
Elle pense qu'il va dire: je t'aime
Mais non
Il murmure une phrase plus importante
Une phrase à laquelle elle pensera sans cesse:
Puisses-tu ne jamais oublier que je crois en toi."
    D Foenkinos
Départ sans retour pour la jeune Charlotte, écrin pour les messages transmis qui habitent une vie, et la transforment parfois aussi.

Lu dans:
David Foenkinos. Charlotte. Gallimard. NRF. 2014. 222 pages. Extrait p. 129

27 novembre 2014

Sagesse de Charlot


"Pendant que son équipe tournait La Ruée vers l’or en 1923, une discussion animée se déroulait dans le studio à propos du scénario. Et une mouche n’arrêtait pas de distraire l’attention des participants, si bien que Chaplin, furieux, demanda une tapette et essaya de la tuer. En vain. Au bout d’un moment, la mouche atterrit sur la table à côté de lui, à sa portée. Il prit la tapette pour l’écraser, puis s’arrêta brusquement et la reposa. Lorsque les autres lui demandèrent pourquoi, il les regarda et répondit : « Ce n’est pas la même mouche. "

Une enfance passée dans des établissements publics, une maison de correction d’abord puis une école pour les enfants indigents, l'a peut-être rendu sensible aux punitions collectives. Hannah, sa mère, à laquelle il était profondément attaché, était incapable de s’occuper de lui et passa une grande partie de sa vie enfermée dans un hôpital psychiatrique. Roscoe Arbuckle, un de ses collaborateurs favoris avait déclaré que son copain Charlie était un "génie comique complet, sans aucun doute le seul de notre temps dont on parlera dans un siècle". Le siècle a passé et les propos d'Arbuckle se sont révélés vrais, les films de Charlot gardant la permanence « d'un commentaire intime sur le XXIe siècle ». Comme le présumait le gamin de 10 ans, " les mots manquent pour désigner ou expliquer le cours quotidien des ennuis, des besoins non satisfaits et du désir frustré."  Le clown sait que la vie est cruelle. L’énergie des pitreries de Chaplin se répète et augmente à chaque fois. A chaque fois qu’il tombe, c’est un homme nouveau qui retombe sur ses pieds, nouveau et unique. Comme sa mouche? 


Lu dans :
John Berger. L’art de la chute. Le Monde diplomatique. Décembre 2014. Extrait page 22.

26 novembre 2014

Se hâter avec lenteur


"Elle se hâte, avec lenteur."
     La Fontaine. 

   "Brian et moi sommes en train de survoler le Mali à 8 000 m d'altitude. Un fax de nos météorologues arrive pour nous demander de rester à cette altitude afin de conserver une vitesse de 60 km/h. Pas besoin d'ordinateur pour calculer que parcourir 45 000 km à cette vitesse-là sans épuiser nos réserves de gaz est impossible. (..) Nous décidons alors de désobéir et de monter à la recherche d'un courant plus rapide. Nous le trouvons à 9 000 mètres: un petit jet-stream de 120 km/h. Assez fièrement, j'empoigne le téléphone satellite pour appeler notre centre de mission: - Eh, les gars, vous ne trouvez pas que nous sommes de bons pilotes, là-haut? Nous volons deux fois plus vite que ce que vous avez calculé! Je m'attends à des félicitations, mais la réponse est cinglante: - Nous ne t'avons jamais demandé de voler aussi vite. (..) Ouvre tout de suite ta soupape pour redescendre de 1 000 mètres et ralentir. Je commence par protester: - Il n'en est pas question. À 60 km/h, nous serons à court de gaz avant d'avoir bouclé le tour complet. Laissez-nous voler vite! - Tu n'as vraiment rien compris à notre stratégie? Tu as une zone de basse pression sur ta gauche, et tu dois avancer à la même vitesse qu'elle. Sinon, tu voleras très vite pendant vingt-quatre heures, mais que se passera-t-il ensuite? Tu la dépasseras et quand tu arriveras devant, au lieu de continuer vers l'est, tu t'enrouleras autour d'elle dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et tu seras poussé vers le pôle Nord. Le météorologue marque une courte pause avant de me poser une question qui changera ma vie. C'est probablement la première fois que je comprends vraiment ce que signifient vision à long terme et développement durable. Non pas intellectuellement, mais dans mes tripes: - Toi, le soi-disant bon pilote, là-haut, que veux-tu vraiment? Voler très vite dans la mauvaise direction, ou lentement dans la bonne? 
Le problème ainsi posé, la réponse devient évidente. J'ouvre la soupape et nous perdons à la fois 1 000 mètres et 60 km/h. Cela nous permet de rester sur la trajectoire optimale et de retrouver sur le Pacifique un jet-stream qui nous fera passer la ligne d'arrivée à 230 km/h. Nous n'aurions jamais réussi sans y avoir été forcés par nos météorologues. Sans eux, nous serions allégrement partis à haute vitesse vers le pôle Nord. Il est tellement gratifiant d'aller vite!"
    B. Piccard. Changer d'altitude.

Lu dans :
Bertand Piccard. Changer d'altitude. 2014. Stock. 295 pages. Extrait p.280-281

25 novembre 2014

Sagesse de Rilke

«Lorsque les gens pieux disent: "Il est", et que les gens tristes disent: "Il fut", l'artiste dit dans un sourire: "Il sera".»
    Rainer Maria Rilke.  Journal florentin

Enfant, je me disais souvent qu'on cherchait Dieu où il n'était pas, dans le fracas de la tempête et du tonnerre alors que je l'imaginais plus dans le murmure d'un buisson. Les longues démonstrations sur son existence ne me convainquaient pas davantage que celles sur sa négation. Je souriais au récit de cet alpiniste accroché à son filin après une chute vertigineuse appelant "Y a quelqu'un?" et entendant une voix puissante lui répondre: "Lâche prise, fais confiance." Et lui de crier "Y aurait-il quelqu'un d'autre pour un second avis?" 60 ans ont passé et je me reconnais toujours dans ce sceptique heureux. Faute de connaître l'alpha de l'univers, j'aime rêver néanmoins à cette notion que Dieu est un concept en construction, non derrière mais devant, et que j'y participe. 

Lu dans:
Rilke, cité par Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages. Extrait p. 270
Rainer Maria Rilke, Sur l'art, in Oeuvres en prose. Récits et essais. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 678.

23 novembre 2014


"Vouloir être de son temps, c'est déjà être dépassé."
     Ionesco

22 novembre 2014

Soins intensifs


"Peut-être n'est-il plus temps
de dire
ou de ne pas dire
de faire
ou de ne pas faire
Mais d'être."
    L. de Groot


Lu dans: 
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.40.

Sagesse d'Irving Penn


« Tout n'est qu'une même chose. »
    Irving Penn

La phrase du célèbre photographe " de mode et de beauté" comme l'écrit joliment Wikipedia (1917-2009) est accrochée en exergue de l’exposition que le Palazzo Grassi lui consacre à Venise, exposant cent trente photographies, de la fin des années 1940 au milieu des années 1980. Malgré la diversité apparente des sujets, ces oeuvres témoignent toutes d’une même volonté de capturer l’essence des choses pour mieux saisir l’éphémère: petits métiers de Londres, de New York ou de Paris, fleurs, détritus en décomposition, portraits des grands de ce monde.  Veste immaculée, chaussures cirées, sourire ultra bright, le vendeur de train américain vit là son heure de gloire. Les femmes de ménage britanniques posent, pleines de fierté. Les bouchers français, plus méfiants, gardent la main sur leurs couteaux. Leur emploi est amené à évoluer ou à disparaître, et c'est ce qui intéresse le photographe. Il va d'ailleurs explorer cette thématique très contemporaine de la mutation, de l'éphémère durant toute son existence,  retirant les mêmes images chaque fois différentes, chaque fois renouvelées 30 fois sur 30 années comme s'il était en fait en permanence à la poursuite de la même photo. Comme chacun de nous dans nos diverses entreprises. 


Lu dans :
Jusqu'au 31 décembre, Palazzo Grassi, Venise (Italie) | www.palazzograssi.it
www.connaissancedesarts.com/photo/diaporama/irving-penn-quand-l-ephemere-devient-eternite-107204.php

20 novembre 2014


"L'autodérision est une bonne stratégie. Le bouffon de François ler avait dérapé et s'était retrouvé condamné à mort. Comme le roi l'avait beaucoup apprécié, il lui laissa choisir sa mise à mort. À quoi le bouffon répondit: - je demande à mourir de vieillesse, Sire. Il fut, bien sûr, gracié sur-le-champ."
    B. Piccard

Lu dans :
Bertand Piccard. Changer d'altitude. 2014. Stock. 295 pages. Extrait p. 76


« Les jeunes vont en bandes,
les adultes par couples
et les vieux tout seuls. »
    Proverbe suédois


19 novembre 2014

Sagesse militaire

« Si vous ne pouvez pas résoudre un problème, amplifiez-le. Il se passera alors quelque chose qui fera évoluer la situation. »
     D. Eisenhower


18 novembre 2014

Un jour léger

"N'aboie que si tu peux mordre."

Cet amusant proverbe arabe m'a habité la journée entière. En écho, l'enseignement de Matthieu Ricard "à quoi bon te tourmenter pour ce qui n'existe plus et pour ce qui n'existe pas encore?" Deux manières de dire la même chose et d'exorciser nos craintes de perdre le contrôle. On vit différemment des journées pareilles.


Lu dans :
Bertand Piccard. Changer d'altitude. 2014. Stock. 295 pages. Extrait p. 17

17 novembre 2014


"Le bout de la nuit, ce n’est pas le fond d’un tunnel bouché, c’est depuis le commencement du monde la naissance d’un nouveau jour."
    M. Lobet


Lu dans
Marcel Lobet. Icare Laboureur. Journal 1962-1986. ACADÉMIE ROYALE DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE FRANÇAISES DE BELGIQUE. 2007. 252 pages

14 novembre 2014

Sagesse de Julien Green


"Hier, le bonheur est entré tout à coup, comme jadis, et il s'est tenu un instant dans le grand salon silencieux et sombre. Nous étions debout devant une fenêtre et nous regardions la pluie qui tissait son voile dans le ciel obscurci ... J'ai senti que le bonheur était proche, humble comme un mendiant et magnifique comme un roi. Il est toujours là (mais nous n'en savons rien), frappant à la porte pour que nous lui ouvrions, et qu'il entre, et qu'il soupe avec nous. "
    J. Green

Je vous souhaite une belle journée, avec un bonheur  "humble comme un mendiant" derrière la porte et que vous pensiez à lui ouvrir.
CV

Lu dans:
Julien Green, Derniers beaux jours. Journal. 1935-1939. Fayard. 1940.

13 novembre 2014


"Rien n'irrite autant l'autorité qu'un silence qui la nie."
Sandor Maraï


10 novembre 2014

Mort en 18


"Les maisons renaîtront sous leurs toits rouges, les ruines redeviendront des villes et les tranchées des champs, les soldats victorieux et las rentreront chez eux. Mais vous ne rentrerez jamais."
        Roland Dorgelès. Les Croix de bois

"Non, c’est affreux, la musique ne devrait pas jouer ça… L’homme s’est effondré en tas, retenu au poteau, par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau, lui fait comme une couronne. Livide, l’aumônier dit une prière, les yeux fermés pour ne plus voir. Jamais, même aux pires heures, on n’a senti la Mort présente comme aujourd’hui. On la devine, on la flaire, comme un chien qui va hurler. C’est un soldat, ce tas bleu ? Il doit être encore chaud. Oh ! Être obligé de voir ça, et garder, pour toujours dans sa mémoire, son ci de bête, ce cri atroce où l’on sentait la peur, l’horreur, la prière, tout ce que peut hurler un homme qui brusquement voit la mort là, devant lui. La Mort : un petit pieu de bois et huit hommes blêmes, l’arme au pied. Ce long cri s’est enfoncé dans notre cœur à tous, comme un clou. Et soudain, dans ce râle affreux, qu’écoutait tout un régiment horrifiée, on a compris des mots, une supplication d’agonie : « Demandez pardon pour moi…Demandez pardon au colonel… » Il s’est jeté par terre, pour mourir moins vite, et on l’a traîné au poteau par les bras, inerte, hurlant. Jusqu’au bout il a crié. On entendait : « Mes petits enfants…Mon colonel… » Son sanglot déchirait ce silence d’ép ouvante et les soldats tremblants n’avaient plus qu’une idée : » Oh ! vite…vite…que ça finisse. Qu’on tire, qu’on ne l’entende plus !... » Le craquement tragique d’une salve. Un coup de feu, tout seul : le coup de grâce. C’était fini…
Il a fallu défiler devant son cadavre, après. La musique s’était mise à jouer Mourir pour la Patrie et les compagnies déboîtaient l’une après l’autre, le pas mou. Berthier serrait les dents, pour qu’on ne voie pas sa mâchoire trembler. Quand il a commandé : « En avant ! » Vieublé, qui pleurait, à grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les rangs en jetant son fusil, puis il est tombé, pris d’une crise de nerfs.
En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous n’osions pas même nous regarder l’un l’autre, blafards, les yeux creux, comme si nous venions de faire un mauvais coup.
Voilà la porcherie où il a passé sa dernière nuit, si basse qu’il ne pouvait s’y tenir qu’à genoux. Il a dû entendre, sur la route, le pas cadencé des compagnies descendant à la prise d’armes. Aura-t-il compris ?
C’est dans la salle de bal du Café de la Poste qu’on l’a jugé hier soir. Il y avait encore les branches de sapin de notre dernier concert, les guirlandes tricolores en papier, et, sur l’estrade, la grande pancarte peinte par les musicos : « Ne pas s’en faire et laisser dire ».
Un petit caporal, nommé d’office, l’a défendu, gêné, piteux. Tout seul sur cette scène, les bras ballants, on aurait dit qu’il allait « en chanter une », et le commissaire du gouvernement a ri, derrière sa main gantée.
— Tu sais ce qu’il avait fait ?
— L’autre nuit, après l’attaque, on l’a désigné de patrouille. Comme il avait déjà marché la veille, il a refusé. Voilà…
— Tu le connaissais ?
— Oui, c’était un gars de Cotteville. Il avait deux gosses."
            R. Dorgelès. id.

La France avec environ 600 fusillés pour l'exemple (1914-18) se situe en seconde position derrière l’Italie, qui a exécuté 750 de ses soldats, et devant le Royaume-Uni avec 306 fusillés dont le plus jeune exécuté durant la guerre, âgé de dix-sept ans. L’Allemagne indique officiellement 48 fusillés et le Canada 25 fusillés. La Belgique, 22. Il y eut aussi de nombreuses exécutions dans l’armée russe. L’armée américaine fait état de seulement 11 exécutions et essentiellement pour des viols et des meurtres ; ce petit nombre s’expliquerait par le meilleur encadrement médical des soldats, plus au fait des questions de psychiatrie. Seules les forces d’Australie n’exécutaient leurs soldats sous aucun motif. 

Comme le suggère l'inoubliable "Né en 17 à Leidenstadt" (J-J Goldman), "qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps / d'avoir à choisir un camp." 

Lu dans:
Roland Dorgelès, Les Croix de bois (1919), Albin Michel, chap. IX, « Mourir pour la Patrie », réédition Livre de poche, p. 149 à 151.

09 novembre 2014

Délinquance sénile


"Il faut un long temps pour devenir jeune."
     Picasso

"Nicolas Bouvier, dans sa Chronique japonaise, nous explique qu'au Japon, pays où les gens sont particulièrement contraints sur le plan social, l'on ne rencontre de personnes réellement singulières que parmi les retraités. Or une information récente - tragi-comique - nous apprend que le Japon du XXIe siècle va devoir faire face à un grave problème de délinquance sénile, les Japonais ne commençant à se libérer de  l'ultraconformisme ambiant qui est le leur qu'à la période du troisième âge."


Lu dans:
cité par Denis Grozdanovitch. Petit éloge du temps comme il va. Gallimard 2014. Folio 5820. 132 pages. Extrait p.90.

07 novembre 2014

Le temps qui passe et le temps qu'il fait


"La pluie est le mot de passe de ceux qui ont le goût pour une certaine suspension du monde. Dire que l'on aime la pluie c'est affirmer une différence."
Martin Page

Denis Grozdanovitch nous offre un merveilleux petit ouvrage sur "le temps comme il va", jouant sur la double signification du temps qui passe et du temps qu'il fait. Si aimer la pluie c'est affirmer une différence, "ne sufflt-il pas, pour s'en persuader, d'écouter les présentateurs météo de nos médias nous annoncer, lorsqu'il va pleuvoir (et peu importe que la végétation ait dû subir de dangereuses périodes de sécheresse) que le temps se dégrade ? Et n'est-il pas vrai qu'avouer une certaine affection pour la pluie vous classe immédiatement dans la catégorie des atrabilaires et des grincheux? "

"À l'arrière de cette maison, s'ouvrait, tournée vers l'ouest, une petite terrasse - vestige d'une ancienne grange - couverte d'un auvent en tôle. Cette terrasse surplombait un vaste espace permettant d'apercevoir, à la limite des champs, l'orée de la forêt. Les intempéries arrivaient presque toujours de ce côté et je me souviens du plaisir que je pouvais ressentir - la plupart du temps en compagnie du chat assis à mes côtés - à regarder s'amonceler les nuages avant-coureurs, puis à contempler l'avancée des régiments serrés de la pluie. Le ciel commençait à s'assombrir, les couleurs s'enfonçaient dans leur profonde et mystérieuse essence, un petit vent se levait, parcourant d'un frisson la végétation tout entière, et le monde paraissait se recueillir comme pour une cérémonie propitiatoire adressée au dieu Pan. Puis, au loin, par-dessus les frondaisons, on voyait s'avancer le rideau vaporeux de l'averse et les premières gouttes martelaient alors le toit de tôle, telles les notes éparses d'un prélude pourxylophone géant. Ensuite, à la maniere d'une charge de cavalerie, la précipitation s'avançait rapidement dans notre direction, couchant les blés, criblant la végétation des talus, puis finissait par s'abattre sur nous. Je ressentais un extatique et ineffable bonheur à me tenir ainsi à cet endroit, bien protégé - .seules quelques poussières d'eau venant effleurer mon visage -, à écouter le tambour polyphonique de la pluie sur le toit. Le fil intérieur de mes songeries se retendait alors jusqu'à ces mêmes instants de plénitude enfantine dans la maison de mes parents, au bord du fleuve ... et il me semblait que le  chat immobile, en posture de sphinx à mes côtés, était non seulement en parfaite empathie avec mes sensations mais encore, clignant doucement des yeux, les approuvait de son antique sagesse égyptienne. Une fois la pluie bien établie, je rentrais à l'intérieur, retrouvais ma table de travail et me mettais à écrire avec une aisance qui me paraissait découler du rythme même des gouttes tambourinant sur le toit. Il me semblait que ce rythme s'imposait par mimétisme à mes doigts sur les touches et aboutissait à ce que les mots et les images s'enchaînent avec facilité, s'intégrant avec fluidité à l'éternel « cours des choses » ... Combien de pages n'ai-je pas écrites ainsi, durant ces années-là, en état de transe « déliquescente », porté par la sensation de flotter telle une plume dérivant sur le dos d'un fleuve?"



Lu dans:
Denis Grozdanovitch. Petit éloge du temps comme il va. Gallimard 2014. Folio 5820. 132 pages. Extraits pp 24-25, 44-45.
Martin Page. De la pluie. Ramsay, 2007.

Le moteur du monde


"Si le coeur de l'homme ne déborde pas d'amour ou de colère, rien ne peut se faire en ce monde."
    Nikos Kazantzakis


Lu dans :
Corine Jamar. On aurait dit une femme couchée sur le dos. Editions du Castor Astral. Escales de lettres. 2014. 223 pages. Exergue

06 novembre 2014

Sagesse de Jodorowsky


"Après tant
et tant d'années à méditer
je tue encore les mouches."
   Alejandro Jodorowsky

Rien n'égale les mots simples pour prendre de la hauteur.

Lu dans : 
Pierres du Chemin. Alejandro Jodorowski. Le Veilleur & Maelström. 2004. 140 pages. Extrait p.139

04 novembre 2014

Le raboutage et la mise face-à-face


"La première utilisation de l'algèbre a concerné les problèmes d'héritages, souvent très compliqués, régis par des règles extrêmement  strictes. Les équations furent l'outil adéquat permettant de déterminer les parts attribuées aux différents héritiers suivant les instructions du testament du défunt."  
    D. Guedj

Enfin. La tenace impression que l'algèbre ne sert à rien se voit infirmée, et de belle manière. On apprend dans la foulée que les Grecs, experts pourtant en géométrie et en arithmétique, ne sont jamais allés jusqu'à créer l'algèbre. Cette discipline est née sur les rives du Tigre, à Bagdad, au début du IXe siècle. Son créateur, Mohamed al-Khwarizmi (780-850), un grand savant perse, a rédigé Kitab al jabr i al muqabala, « traité du raboutage et de la mise face à face », qui est la véritable fondation de la nouvelle discipline. Le mot al jabr a donné «algèbre», universellement adopté aujourd'hui. L'utilisation des chiffres arabes et leur diffusion dans le Moyen-Orient et en Europe sont dues à un autre de ses livres qui traite des mathématiques indiennes.

Hier ce caféjournal citait Férid-eddin Attar, mystique persan, aujourd'hui Mohamed al-Khwarizmi, mathématicien persan, demain peut-être Avicenne, prince des médecins persan, nés dans ces régions troublées convoitées aujourd'hui par Daesh et souillées par le sang de leurs otages. Ce qui s'y affronte dépasse largement les frontières de notre siècle.    


Lu dans:
Denis Guedj. Les mathématiques expliquées à ma fille. Seuil. 2008. 165 pages . Extrait p 97-98.

La demande

« Qui saurait jusqu'où la prière d'une humble vieille, à l'aube, est capable de porter? »
Férid-eddin Attar, mystique perse, XIIe-XIIIe siècle

Moins séduit par le célèbre mystique que par cette pauvre vieille, si contemporaine. Elle me ramène en mémoire une vieille petite dame toute fripée quémandant UNE feuille de salade à l'épicier pour son canari, un sourire édenté pour seule monnaie. Elle demeure pour moi l'image de la demande et de la vie quotidienne de nos quartiers animés 


Lu dans :
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994. NRF Gallimard. 1996. 233 pages. Extrait p. 36
Férid-eddin Attar. Le Livre de l’épreuve, Mosibet namèh.Fayard . 1981. 368 pages.

02 novembre 2014

Les rêves sont en nous

"Étoiles filantes : où courent-elles? Question aussi vite posée qu'elles passent."
     Philippe Jaccottet

Mais les rêves, tous ces rêves que l'on ne faisait plus
Mais les rêves, tous ces rêves que l'on croyait perdus
Il suffit d'une étincelle pour que tout à coup
Ils reviennent de plus belle, au plus profond de nous...
Aimons les étoiles
Laissons-les filer
Aimons les étoiles
Tous ces rêves, nous élèvent, nous font aimer la vie
Tous ces rêves, ça soulève et ça donne l'envie
L'envie d'un monde meilleur
Ils reviennent de plus belle, les rêves sont en nous.
Les rêves sont en nous...
    Pierre Raepsaet

Lu dans :
Philippe Jaccottet. La seconde semaison. Carnets 1980-1994. NRF Gallimard. 1996. 233 pages. Extrait p. 54
Pierre Raepsaet. Tous les rêves (2002).

Essai erreur


"Ce qui me rassure quand je rate un bricolage c'est de me dire que quand Dieu a conçu son premier oiseau rien ne prouve qu'il a volé du premier coup."
    Philippe Geluck



Lu dans:
Philippe Geluck. La Libre Belgique du samedi 4 octobre 2014

01 novembre 2014

Toussaint


"Je me disais, ce matin, que j’ai beaucoup plus d’amis parmi les morts que parmi les vivants. Ce qui me rendra la mort plus douce."
    M. Lobet

Réalité pour bon nombre de nos seniors, l'impression de ne survivre qu'entouré de disparus rassure-t-elle pour autant? Pas sûr à une époque où la foi en la survivance n'est plus de mode. Passage au cimetière hier sur la tombe des parents avec quelques-uns de nos petiots, dans une mer de fleurs et de feuilles d'or. L'aîné s'étonne de découvrir son nom sur la pierre bleue, et l'explique avec ses mots à ses cousins et cousines plus jeunes. On croise une classe de bambins grimés en sorcières, vampires et monstres divers fêtant Halloween. Soigner la peur par la peur, ou par la dérision, est une piste. Se laisser habiter un moment par le silence du passé en est une autre. Les deux ne sont pas forcément inconciliables. 

Lu dans
Marcel Lobet. Icare Laboureur. Journal 1962-1986. Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique.2007. 252 pages. Extrait p.46