"Quand je lui demandai pourquoi elle se sentait obligée de faire entrer dans sa maison ces réfugiés qui traînaient après eux tant de dangers et de problèmes, y compris l'obligation de mentir aux autorités, elle n'arriva jamais à comprendre vraiment où je voulais en venir. Ses grands yeux cessèrent de briller et elle me dit: «Écoutez. Écoutez. Qui aurait pris soin d'eux si nous ne l'avions pas fait? Ils avaient besoin de notre aide et ils en avaient besoin à ce moment-là. » Pour elle, et pour moi qui subissais la joie contagieuse de son sourire chaleureux, le choix est devenu une évidence. "
À l'intérieur du groupe des résistants, Todorov introduit une
distinction utile entre les héros et les Justes, distinction qui
porte à la fois sur leur mode d'action et sur leur profil
psychologique. Alors que le héros cherche à combattre l'ennemi les
armes à la main, le Juste ne se préoccupe pas d'action militaire.
Lorsque, longtemps après la guerre, on vient le féliciter et lui
dire qu'il s'est conduit en héros, il s'en défend farouchement.
Pourquoi? D'abord parce que, contrairement aux héros, les Justes
tiennent la vie de l'individu pour une valeur indépassable et
qu'ils ne vouent aucun culte à la mort. Du reste, un héros est en
principe mort, alors qu'eux ont souvent survécu: ils ne cherchent
jamais à se sacrifier, et les risques qu'ils prennent sont
calculés. Sauver des vies humaines est la définition même de leur
travail; en conséquence, ils renoncent à prendre celle des uns
pour défendre celle des autres, la seule préoccupation du Juste
est de sauver des vies. De par le type d'action qu'il défend, le
héros est souvent porté à se mettre en valeur, ou au moins en
lumière. L'efficacité du Juste tient, au contraire, à son
invisibilité. C'est la raison pour laquelle l'action de tant de
Justes reste ignorée pendant longtemps, voire à jamais, étant
donné qu'un grand nombre d'entre eux, même après la fin de
l'épisode historique qui les a conduits à agir, ne tiennent
nullement à sortir de l'anonymat. Inconnus, les Justes le sont
souvent d'autant plus, en effet, qu'ils ne s'étendent pas sur
leurs actes, considérant que ceux-ci allaient de soi et
n'appellent donc pas de commentaire particulier.
Lu dans :
Pierre Bayard. Aurais-je été résistant ou bourreau ? Les Editions de Minuit. 2013. 158 pages. Extrait p 74 75
Tzvetan Todorov, Face à l'extrême, Le Seuil, 2003, p. 256.
1 commentaire:
Bonjour,
un mot pour vous dire que je partage grand nombre de vos lectures et réflexions et vous encourager à continuer le partage.
Calou
(je voulais vous écrire en privé mais n'ai pas trouvé votre adresse)
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