"Le reste reçoit donc deux acceptations différentes: un résidu, un laissé-pour-compte, mais aussi bien l'immensité de ce qui nous entoure et dont les manifestations n'épuisent pas la totalité."
Pierre Sansot
Cet été qui n'en finit pas nous offre une belle rencontre avec nos 
enfants et petits-enfants au prétexte d'une cueillette de pommes qui 
feront un nectar en novembre, belle occasion de se réchauffer une 
dernière fois aux rayons mordorés du soleil de septembre et aux rires 
des uns et des autres. Les plus jeunes retardent le moment du départ par
 une dernière culbute, une ultime glissade en tyrolienne, une dernière 
petite soif, un dernier bisou aux cousines. Les portières claquent, 
dernier au revoir sonore ... et soudain le silence.  Nos vies de jeunes 
grands-parents, entre été et automne, se reflètent bien dans cette fin 
de journée, avec cette étrange impression de vivre le "reste", aux 
contours indiscernables et dont l'horizon échappe au regard.  On était 
dans la vie, on l'est encore, mais une autre, comme ces soirs de fête où
 on se dit que c'était bien, et qu'on aimerait prolonger avec les 
derniers invités qui s'attardent. 
Pierre Sansot décrit merveilleusement ces restes qui ne sont pas 
seulement ce qui survit mais aussi une autre manière d'être, à la 
manière de ces agapes qui se prolongent. "Ils se sont séparés le ventre 
plein, une chanson gaillarde à la bouche et d'ailleurs ils avaient de la
 peine à se quitter. Nous avons été invités le lendemain pour déjeuner 
avec les restes et nous avons été surpris de la saveur de ce qui nous 
fut servi avec une carcasse de volaille et un fond de sauce. [..] 
L'existence de restes, leur usage, est-ce la marque de petites gens ou 
d'une société misérable vivant de débris, réutilisant tout ce que la 
société a rejeté, dormant près d'immondices ou bien est-ce aussi une 
manière de parfaire l'acte de manger, de lui donner de la solennité, du 
sens et d'en faire une occasion de partage, donc d'amitié? Les 
bouteilles qui ont été vidées mais n'ont pas été déplacées: elles nous 
assurent que nous avons bu à notre soif et que d'autres bouteilles iront
 les rejoindre. L'un des gigots à peine entamé signifie l'abondance et 
pour peu que l'on nous en prie, nous l'attaquerons derechef. Plusieurs 
signes témoignent de la plénitude de l'événement: des serviettes 
dépliées, des mies de pain sur la table, un certain désordre dans les 
vêtements, des visages rubiconds, des paroles plus lestes nous font 
comprendre que nous sommes passés d'un ordre un peu figé à un désordre 
bon vivant. [..] Il demeure des restes, élaborés au départ de ces plats 
consistants et goûteux exigeant une longue durée pour arriver à leur 
excellence comme un pot-au-feu, une daube, une choucroute ou encore un 
barbecue qui voit les invités s'affairer autour de la bête qu'ils font 
tourner pendant quelques heures.  Nous leur demandons de ne pas
 nous abandonner - une invitation qui serait inconvenante sans 
l'existence de ces restes. Nous avons donc déjeuné ensemble. Nous 
digérerons ensemble et cet acte commun a du sens. Nous cédons à une 
douce euphorie laquelle nous rend bienveillants les uns à l'égard des 
autres. « Vous n'allez pas repartir avec le nombre de kilomètres qui 
vous attendent. » Que de prévenance, que de douceur dans de telles 
propositions et comme il nous est agréable de les entendre!  La fête se 
prolonge encore une journée puis une autre journée: le temps s'étire 
langoureusement."
Saisons de la vie, si diverses et si belles. Celle des restes possède sa saveur propre, comme le souffle une de mes proches: "enfin je prends mon temps et je donne mon temps." A profusion.
Lu dans:
Pierre Sansot. Ce qu'il reste. Payot et Rivages. 2006. 201 pages. Extraits p. 28, 29-31
 
 
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