30 mai 2009

Une réflexion musicale

« Ô vous, hommes qui pensez que je suis un être haineux, obstiné, misanthrope, ou qui me faites passer pour tel, comme vous êtes injustes ! Vous ignorez la raison secrète de ce qui vous paraît ainsi. […] Songez que depuis six ans je suis frappé d’un mal terrible, que des médecins incompétents ont aggravé. D’année en année, déçu par l’espoir d’une amélioration, […] j’ai dû m’isoler de bonne heure, vivre en solitaire, loin du monde. […] Si jamais vous lisez ceci un jour, alors pensez que vous n’avez pas été justes avec moi, et que le malheureux se console en trouvant quelqu’un qui lui ressemble et qui, malgré tous les obstacles de la Nature, a tout fait cependant pour être admis au rang des artistes et des hommes de valeur. »

Ludwig van Beethoven. Testament de Heiligenstadt, lettre qui ne fut jamais envoyée et retrouvée seulement après sa mort


Une invitation inattendue (merci Mathieu) a permis d'écouter hier soir la jeune violoniste coréenne Kim Suyoen interprétant le concerto pour violon de Beethoven. Les critiques ont noté un faux pas dans le premier mouvement, auquel le public apporta la meilleure réaction qui soit à savoir des applaudissements d'encouragement inhabituels au terme de celui-ci. Je n'ai rien entendu, emporté par la magie de cette oeuvre, une des plus tendres que Beethoven ait écrite. Malade, porté sur la bouteille, abandonné peu de temps auparavant par son amie Joséphine von Brunsvik, il semble qu'il n'en ait achevé l'écriture que peu avant le concert, obligeant le soliste à faire du déchiffrage en direct. Elle ne fut guère jouée du vivant du musicien, les auditeurs la trouvant assez peu virtuose, et succède à l'échec retentissant de Fidelio. La vie, même des plus grands, n'est décidément pas un long fleuve tranquille. Il n'empêche, on demeure songeur. Qu'une musique écrite en 1806 à Vienne par un homme sourd, alcoolique et misanthrope de réputation, déchiffrée par une jeune fille coréenne de 21 ans, jouée sur un violon amoureusement assemblé par un luthier italien en 1742, traverse ainsi le temps, l'espace, les cultures, pour me faire revivre dans mon jardin secret ma vie à moi et m'émouvoir autant que ne le ferait une lettre envoyée par une personne chère reste un mystère. Les petits trébuchages dans l'interprétation, inaudibles au profane, ajoutent paradoxalement une touche d'humanité au bonheur partagé: c'est de la vie qui s'échange, mêlant du grisé au bleu. 

Il y a 26 ans, nous assistions dans la même salle au triomphe de Pierre-Alain Volondat, alors âgé de de vingt ans, qui cumulait le premier prix de piano, le prix de la Reine Fabiola, le prix du public et la médaille de vermeil, un cumul unique dans l'histoire du prestigieux concours. Heureux présage à la naissance de Véronique, notre cadette qui vint au monde quelques heures plus tard. La beauté avait induit le travail. Cela explique sans aucun doute qu'elle est un soleil dans notre vie. Avec un peu d'avance, bon anniversaire chérie. 

Aucun commentaire: