02 mai 2009

J'ai été mouillé

"Mon amie, il y a eu hier une grande bataille, la victoire m'est restée, mais j'ai perdu bien du monde. (..) Je suis un peu fatigué, j'ai été mouillé deux ou trois fois dans la journée."
Lettres de Napoléon à Marie-Louise après les batailles d'Eylau et de Bautzen.


Un mari trempé, menacé d'un rhume, écrit à sa femme. C'est une expression du réel. Vingt-cinq mille morts français, la moitié chez les Russes (Eylau), vingt-mille de part et d'autre (Bautzen), c'en est une autre. Vie privée, vie publique. « Quel massacre! Et sans résultats! Spectacle bien fait pour inspirer aux princes l'amour de la paix et l'horreur de la guerre » écrit-il au soir de la bataille d'Eylau, avant d'inviter à dîner les officiers d'artillerie. « Pour aller souper chez l'Empereur, nous passions entre deux montagnes de corps, de membres mis en pièces, des bras, des têtes, hélas! celles de nos amis », racontera un des invités. « Personne n'avait faim , mais ce qui dégoûta encore plus et mit le comble à la nausée, c'est que chacun, en ouvrant sa serviette, y trouva un billet de banque. » Un billet de banque pour faire oublier l'horreur d'une bataille dont la victoire fut revendiquée par les deux parties: les troupes françaises, restées maîtres du terrain, les Russes repliés en bon ordre,  les Français décrits comme trop épuisés pour les poursuivre. Que de réflexions possibles sur la vanité des événements et la duplicité des personnes en si peu de lignes. L'élévation des réflexions pacifistes de l'empereur ("inspirer aux princes l'amour de la paix et l'horreur de la guerre") résiste mal à la longue énumération des bataillles ayant émaillé son règne et à la récompense prosaïque du repas d'après bataille... dont feint s'indigner une des participants dans ses mémoires. Les choses ont-elle changé aujourd'hui? 

Lu dans :
Jean-Paul Kauffmann. La chambre noire de Longwood. Folio. La table ronde 1997. 360 p. Extraits pages 160, 204 et 206
Michelet, Histoire du dix-neuvième siècle

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