23 mai 2009

Porter un nom

"Suis-je vraiment celui qui porte mon nom?"
L.Wittgenstein

Je sors d'un étonnant concert en nocturne. Réveillé tôt, on peut apprécier le silence du jardin qui borde la chambre. Un premier merle lance son chant, belle série de notes mélodieuses et flûtées, d'une sonorité variée formant des phrases, avant de se terminer par une pause et de reprendre. Il chante seul, comme si le lever du soleil en dépendait. Ce doit être l'heure des coqs à la campagne toute proche, et des boulangers dans l'odeur chaude des pains que l'on enfourne. Il chante ainsi en solo pendant un quart d'heure, rejoint bientôt par un deuxième, au timbre plus modeste, qui lui répond. Vers cinq heures, lever des moineaux, petites musiques modestes mais multiples, groupées dans un coin de la scène. Cinq heures trente, la voix profonde des ramiers s'élève, comme un appel aux grandes orgues. Paisible ensemble symphonique, qui s'adjoint à ce moment une armée d'autres voix que je ne reconnais guère. Les merles chantent toujours, fil rouge de ce concert dans l'obscurité, bientôt trouée par une lueur. A six heures, un carillon lointain laisse imaginer un clocher flamand sur une placette du Pajottenland tout proche. Première sonorité humaine, encore que vraisemblablement actionnée par une minuterie: même en Flandre, on se lève plus tard un samedi. Le passage d'un premier bus annonce les choses sérieuses, l'homme se met en route. Le suivent rapidement la stridence d'une moto à folle allure, et celle d'une ambulance à destination de l'hôpital Erasme. Il est six heures trente, sur le Ring enfle déjà une rumeur discontinue de véhicules. On devine les nouvelles du monde diffusées par les autoradios, les pensées des uns des autres se rendant qui au boulot, qui aux loisirs d'un long weekend printannier, pleins de projets, de joies et de souffrances. Comment s'empêcher de mettre en parallèle les deux tempos de mon concert nocturne, le merle moqueur anonyme et ceux dont le nom qu'on leur a attribué les engage. Le conducteur du bus et les ramiers se sont vraisemblablement éveillés à la même heure, mais ces derniers "ne filent ni ne sèment" comme il nous fut enseigné. Qu'on le regrette ou non, porter un nom fait une sacrée différence. 


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L'extrait de Wittgenstein est cité par Jean Paul Kauffmann. La lutte avec l'Ange. La Table Ronde. 2001. Folio. 334 pages. Extrait p.277

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