« Les meilleures choses dans la vie sont gratuites. Les deuxièmes meilleures choses sont très chères. »
Clint Eastwood
"À la fin de septembre les étoiles refroidissent
et il y a dans le pré une odeur de pommes trop mûres
J’aimerais que la mer qui voyage sans cesse
m’écrive une lettre de sel très blanc avec juste une ombre de mélancolie
où elle me parlerait de pays très lointains et de rivages verts
une lettre pour l’automne. Nous la lirions sous la lampe
parce que les journées raccourcissent au moment des vendanges
et que l’océan est loin malgré le vent qui nous en parle.
J’ai monté des bûches et le petit bois pour allumer du feu
et je regarderai la flamme danser sur tes pommettes."
Claude Roy
Rien ne surpasse un bel automne, lumineux comme l'été avec déjà
une fenêtre ouverte sur l'hiver. Après la saison des moissons vient
l'époque des vendanges, des bûches à faire sécher, du ramassage
des pommes. On va regagner sa tanière.
Lu dans:
Claude Roy. Claude Roy, un poète. Recueil. 1985. Gallimard. 125
pages.
"Il avait toujours pris la vie avec légèreté. Aussi, quand il ouvrit la fenêtre pour se jeter dans le vide, il ne chuta pas: il s’éleva."
Lucas Mommer
La légèreté n'a pas toujours eu bonne presse et s'entendre remettre
sa dissertation commentée d' "un peu léger, votre travail" n'était guère
valorisant, assimilé à une forme de superficialité. Et si la légèreté
était davantage une affirmation joyeuse de la vie et à tous les devenirs
possibles, en opposition au ressentiment, à la lourdeur des idées
figées? Le taoïsme y voit ainsi un état de fluidité, d'harmonie avec le
flux naturel des choses, la capacité d'agir sans effort, sans lutte, et
d'adopter une attitude de détachement face aux aléas du monde. Rendre
aux contretemps de l'existence leur juste place, sans leur accorder une
importance excessive.
Lu dans:
Lucas MOMMER. Micro-drames. Cactus inébranlable. 2024. 110 p. Extrait p.46
«L'usine du futur n'aura que deux employés, un homme et un chien. L'homme sera là pour nourrir le chien. Le chien sera là pour empêcher l'homme de toucher à l'équipement.»
Warren G. Bennis
"Taraouaca umbari karanê
Mouroane umbari saranê
Kaho anze umbari te nande
Te nande, te nande
Te nande, te nande."
"Quelle est notre origine, d’où venons-nous, d’où venons-nous?
Taraouaca, la rivière rivière nous guide
Mouroane, l'esprit de la forêt, nous protège
Nos ancêtres nous montrent d’où nous venons."
Te Nande. Curawaka
En français, Te Nande peut se traduire par "D'où venons-nous ?" ou
"Quelle est notre origine ?". Musique incantatoire issue de la culture
Huni Kuin, peuple indigène d'Amazonie, cette mélodie incite à à une
réflexion sur les origines, l'appartenance et la connexion à la terre et
aux ancêtres, des thèmes récurrents dans la spiritualité et la culture
Huni Kuin. L'album de Curawaka, intitulé Te Nande, reflète cette
quête des racines et de la compréhension de soi à travers la sagesse
ancestrale. Leçon d'humilité qui redonne à l'humain sa juste place, en
écho à la sagesse du moine Thomas Merton: "Nul n’est une île, en soi suffisante / Tout homme est une parcelle de continent, une partie du tout."
Lu dans:
Te Nande. Curawaka. 2019. Traditionnel en langue Huni Kuin , peuple indigène d'Amazonie, notamment au Brésil et au Pérou.
Thomas Merton (1915-1968). Nul n'est une île. Traduit par : Marie Tadié. Points Sagesses. Sagesses. 1993. 216 pages
"There's many lost, but tell me who has won?" Beaucoup ont perdu, mais dites-moi qui a gagné ?
U2. Sunday, Bloody Sunday
Le récit sinistre des conflits actuels qui s'éternisent remet en lumière l'éternelle question: qui gagne et qui perd au terme d'une confrontation armée meurtrière? A Ablain-Saint-Nazaire, dans le Pas-de-Calais fut érigé un émouvant mémorial baptisé « Anneau de la Mémoire », une création gigantesque visant à rappeler les morts au combat dans cette région de l'Artois, marquée par les offensives extrêmement meurtrières de l'armée française en 1915. Juxtaposé à ce qui est le plus vaste cimetière militaire français, celui de Notre-Dame-de-Lorette, cet étonnant monument se dresse depuis 2014. Cinq cents panneaux d'acier de 3 mètres de haut, assemblés en ellipse sur une surface de la taille de deux terrains de football, le composent. Sur chaque panneau figure le nom d'environ 1 200 soldats tués dans le secteur Nord-Pas-de-Calais au cours du conflit. Au total, 576 606 combattants sont identifiés sur les 499 premiers panneaux, le cinq-centième laissé vierge afin d'accueillir les patronymes de soldats portés disparus non-encore retrouvés. L'Anneau de la Mémoire recense tous ces morts au combat sans mentionner ni leur nationalité ni leur grade, renvoyant à plus de quarante nationalités. Les patronymes identiques sont nombreux, les prénoms par contre illustrent bien les diverses nationalités des victimes. L'objectif étant de souligner la proximité ethnique, historique et culturelle de beaucoup de ces jeunes Européens qui se sont entre-tués sur le front occidental avant que s'établisse une sorte de fraternité posthume.
Lu dans:
Jean-Michel Steg. Qui a gagné la guerre de 14? Enquête
sur l'après-guerre de 1918 à nos jours. Perrrin. 2022. 267 pages.
Extrait pp 12,13,14
U2. Sunday, Bloody Sunday. Sortie le 21 mars 1983, cette chanson qui
rend hommage aux morts de Derry, le dimanche de janvier 1972 qui
deviendra aussitôt le Bloody Sunday.
"Il arrive parfois au plus absent des jours
qu’un ange déroule une échelle de lumière
dans un rai de poussière
l’esprit s’y agrippe et l’âme s’y désaltère (..)
Ainsi fut-il fugitive offrande cet arc-en-ciel du soir
immensément radieux ostentatoire même
en arrière-fond du parking d’une surface marchande
peuplée de familles du samedi soir aux chariots pleins
soudain immobiles tournées vers l’inouïe lumière
tous bras droit en l’air muni d’un portable
pour capter la beauté céleste irréelle
émouvante gratuite et renouvelée de l’univers.
Jeanne Champel Grenier. Signe
Que serions-nous sans la beauté? Inattendue et gratuite, faisant effraction dans notre journée, aussi réelle que fugace. Une mélodie dans la rue, un arôme de café fraichement torréfié par la porte d'une devanture, un rayon de soleil dans la ramure du marronnier de septembre, l'envol d'un oiseau surpris, le scintillement d'un bel avion dans le bleu du ciel. Cadeaux que rien n'annonce, et qu'il faut saisir avant qu'ils ne s'estompent tout aussi soudainement.
Lu dans:
Jeanne Champel Grenier. Signe. Une seconde éternité, proses, poèmes et tableaux. Ed. France Libris. 2021. 78 p
«L'utopie est à l'horizon. Je m'approche de deux pas; elle recule de deux pas. Je fais encore dix pas et elle s'éloigne en courant de dix pas encore. J'aurai beau avancer, je ne l'atteindrai jamais. À quoi sert donc l'utopie? Elle sert à cela: continuer à marcher.»
Eduardo Galeano (1940-2015)
Immortalisée par Hergé, l'oasis dans le désert qui recule au fur et à
mesure de la progression de Tintin a nourri notre imaginaire d'enfance.
Mirage? Utopie? Mirage bien sûr. Ne nous y trompons pas. Un mirage est
un phénomène optique, une illusion, un leurre qui dupe nos sens, tandis
qu'une utopie est un idéal théorique qui peut sembler impossible à
réaliser, mais qui n'a pas pour but de tromper, au contraire, il incarne
une aspiration vers un monde meilleur. A l'heure où nous envahissent
les images, les sons, les vidéos issues de l'intelligence artificielle,
vit-on dans les illusions ou dans les utopies?
Lu dans:
Rutger Bregman. Utopies réalistes. Seuil. 2017. 250 pages. Extrait p.239
"L’époque vieillit mal. Dès qu’on commence à se plaindre que le son est trop fort dans les discothèques, que les policiers sont trop jeunes et qu’ils nous font rire sous cape quand ils prennent cette allure de faux cow-boys, que les voitures roulent trop vite, que les gens ne respectent plus les règles de la circulation et que plus personne ne sait à quoi sert le feu jaune, que la politesse est devenue une forme de flatterie publique, que les femmes qu’on a connues rajeunissent à si folle allure qu’on a l’impression de les croiser en remontant le temps, que les médecins sont devenus insensibles aux états d’âme de patients eux-mêmes survoltés, qu’on n’arrive pas à comprendre ce que disent ces animateurs de la télé qui n’articulent pas et parlent décidément trop vite, dès qu’on se plaint que des gens qu’on connaît à peine vous téléphonent tôt le dimanche matin, qu’il n’y a plus de bons écrivains comme du temps de Malraux et Miller, que le cinéma italien a connu son âge d’or dans les années 60 et que cet effritement s’est fait à notre insu, enfin dès qu’on évoque à tout bout de champ son enfance, comme je le fais, c’est qu’on a vieilli."
Dany Laferrière.
Féroce mais si vrai. De tous les vieux, les pires étant ceux qui proclament en permanence être restés jeunes.
Lu dans:
Dany Laferrière. L'art presque perdu de ne rien faire. Grasset. Collection bleue. 2014. 432 pages
« Un jardinier me fait remarquer que c'est en automne qu'on perçoit la vraie couleur des arbres. Au printemps, l'abondance de la chlorophylle leur donne à tous une livrée verte. Septembre venu, ils se révèlent revêtus de leurs couleurs spécifiques, le bouleau blond et doré, l'érable jaune-orange-rouge, le chêne couleur de bronze et de fer. »
Marguerite Yourcenar, Écrit dans un jardin
Lu dans:
Chrsitophe Bigot. Un autre m'attend ailleurs. La Martinière. 2024. 310 pages. Extrait p.23
"Tout ce qui m'est arrivé d'important
et a rendu ma vie merveilleuse:
la rencontre avec un être aimé
une caresse sur la peau
une aide dans un moment critique
le spectacle d'un clair de lune
une promenade en mer à la voile
la joie que l'on à donnée à un enfant
le frisson devant la beauté d'un paysage.
Tout cela se déroule en dehors du temps
en l'espace d'une seconde ou en l'espace de cent ans.
Le bonheur se situe en marge du temps."
Stig Dagerman
"Être ancien ministre, c’est s’asseoir à l’arrière d’une voiture et s’apercevoir qu’elle ne démarre pas."
François Goulard
Cette réflexion douce-amère de François Goulard, ancien ministre
de Jacques Chirac en 2012, lui avait valu à l’époque le prix de
l’humour politique.
Lu dans:
Par Nathalie Segaunes. L’étalage des ambitions de ces ministres
qui se verraient bien rester dans le futur gouvernement. Le Monde.
4 septembre 2024.
Je suis svelte, comme tu le veux
Et je prends soin de moi,
comme il convient pour une femme que tu aimes.
J’utilise ta brosse à dents
et ma langue sait bien répéter, comme tu le souhaites,
les mots qu’il faut
avec calme et dignité.
J’aime la même musique que toi.
Je possède tes livres.
J’embrasse les lieux que tu visites.
Je te ressemble beaucoup.
Tu m’as fait devenir toi.
Je ne t’aime plus
Hanadi Zarka. Miroir
Lu dans:
Hanadi Zarka. Trad. Maram al-Masri. Anthologie des femmes poètes du monde arabe. Le Temps des Cerises. 2012
"Les jeunes sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes."
Article de presse de 1900, lu sur France Inter par Henri Leclerc.
"Il faut bien admettre que nos vies n'ont aucune importance. Nous aurions pu ne pas être. Nous sommes. Minuscule événement, infime détail en regard de la Grande Ourse, là-bas, et des atomes éternels. Pourtant, notre vie, elle, n'est pas « là-bas » : elle est là devant, dérisoire mais pleine, passagère mais indépassable. Je n'ai qu'elle, je ne vois le monde qu'à travers mes yeux, je ne le touche qu'avec mes mains, au cœur de ce qu'il y a toujours de mal fagoté, de pas fini, dans l'existence humaine."
Pascal Chabot
Peut-être un des derniers soirs d'été à contempler le ciel immense
sur la terrasse. Que j'aime ce moment avant la nuit, la ville qui dort,
la ligne d'horizon des maisons voisines, le bruit familier d'une
vaisselle, une conversation que laisse entendre une porte ouverte, ces
avions qui arrivent de loin, ceux qui s'en vont, comme portés par les
nuages immobiles. Humains, et fragiles. Nous sommes des passagers sur la
terre. Puis le regard s'éloigne, change de focale, aux frontières du
visible de ce qu'autorise la luminosité d'une ville la nuit: les
étoiles, difficiles à distinguer des avions, immobiles, inhumaines,
éternelles. Je suis de leur monde, elles ne sont pourtant pas mon monde.
Ma planète est aussi minuscule que celle du Petit Prince, remplie d'un
vécu multiple et désordonné, de personnes aimées, de quelques projets
restants, d'une fleur ou autre à arroser. Une étincelle dans l'azur,
mais c'est ma planète, et je n'ai qu'elle. Loin dans le passé, j'avais
cinq ans à peine, me revient soudain le souvenir de m'être perdu dans
les mêmes questions, les mêmes incertitudes. Une vie se passe, on
cherche un sens à lui donner, à laisser un souvenir pas trop moche, à
assumer un quotidien utile, pour convenir un soir sur sa terrasse que
cela ne change pas grand-chose aux étoiles.
Lu dans:
Pascal Chabot.
Un sens à la vie. Enquête philosophique sur l'essentiel. PUF. 2024. 208 pages.
Florent Georgesco. A l'essentiel, sans illusion. Le Monde. 30 août 2024.