« Je me souviens qu'un soir, alors que j'entendais un léger bruit dans la chambre voisine de la mienne, je demandai à haute voix : "Qui est là ?" Et la voix d'une bonne, récemment arrivée de sa campagne, me répondit : "Personne, Monsieur, c'est moi." Le monde est plein de ce genre de figures disparues mais aussi de celles qui ont le pouvoir de faire disparaître les autres. Qui ne s'est jamais senti invisible ? C'est une des raisons pour lesquelles j'éprouve une telle reconnaissance envers les poètes, les romanciers ou les dramaturges qui ont célébré une autre sorte de présence, en mode mineur. "
Octabio Paz, cité par Marina van Zuylen
Si nous ne sommes pas quelqu'un, sommes-nous pour autant personne.
Si le regard des autres peut faire disparaître quelqu'un,
l'autodépréciation le fait tout autant. Pendant une dizaine d'années,
une patiente s'identifia par téléphone, dans ses billets de demande de
prescription, lors des consultations ou visites à domicile, comme "la
maman du petit Michaël", au point qu'aujourd'hui je ne me souviens guère
d'elle ni par son nom, ni par son prénom même si son image, celle de
son appartement, de l'immeuble social où elle habitait me sont restées
en mémoire. Nul ne l'avait jamais contrainte à se présenter en
permanence comme une référence à son fils, copie conforme de l'horrible
petit Abdallah immortalisé dans Tintin au Pays de l'Or noir, gosse
hyperkinétique qui occupait tout l'espace, mais sa non-existence était
devenue une identité. Qu'est-elle devenue, à l'heure où son sale gosse
est peut-être déjà lui-même retraité? Vit-il encore d'ailleurs, et
elle-même comment se présente-t-elle, si le petit Michaël a disparu, au
médecin qui la traite aujourd'hui?
Lu dans:
Marina van Zuylen, Clotilde Meyer (trad). Éloge des vertus minuscules. Flammarion. 2023. 256 pages. Extrait p.32
Octavio Paz. Masques mexicains. Le Labyrinthe de la solitude. Trad. Jean-Clarence Lambert. Gallimard. 1972. Extrait p.43
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