"Nul ne saurait être ni trop insignifiant ni trop laid."
Georg Büchner, extrait de Lenz,
Se laisser surprendre. Hier, dans la file aux caisses du Carrefour
Express de mon coin de rue, un patient attachant et folklorique me
reconnaît et me hèle d'un sonore "bonjour docteur" accompagné d'une
gestuelle aussi démonstrative qu'affectueuse. J'en ressens un fugace
sentiment de gêne, devenu bien malgré moi l'objet de tous les regards.
Nous sommes des êtres étranges, car la gêne devrait être celle de cette
première réaction instinctive que j'eus devant cette « non-rencontre »
avec un être chaleureux mais décalé de la société, face à une occasion
de rencontre imaginaire qui au contraire aurait flatté mon amour-propre.
Quelle aurait été ma réaction spontanée si j'avais croisé dans la même
file une célébrité ou une personne extrêmement charismatique, quelqu'un
qu'on aimerait impressionner, ou dont on voudrait obtenir quelque chose?
En bref, un individu précieux à mille lieues de cette personne
considérée comme médiocre. Comme le suggère Marina van Zuylen, nous
sommes devenus experts dans l'art de nous détourner des visages que nous
n'avons que faire de séduire. Prêter attention aux personnes négligées
tout en démystifiant l'apparence du pouvoir est un long cheminement.
Lu dans:
Georg Büchner, Bernard Kreiss (Traduction). Lenz. Editions Jacqueline Chambon. 1991. 90 pages.
Marina van Zuylen, Clotilde Meyer (trad). Éloge des vertus minuscules. Flammarion. 2023. 256 pages. Extrait pp.150-151
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