03 septembre 2022

Tendresse vache

 « L’autre jour, dans le train, j’ai aperçu une harde de chevreuils. C’était magique. Le temps d’un instant, j’ai eu le sentiment d’attraper au vol un fragment de vie sauvage, rare et fugace. Un peu plus tard sont apparus au loin d’autres points brun-orangé sur fond engazonné. Le nez à la fenêtre, je guettais. Mais cette nouvelle harde n’était qu’un troupeau de vaches limousines. Aucun intérêt. Mon thermostat à émotions est retombé à zéro. Tu vois, nos premiers rendez-vous étaient comme ce surgissement d’une vie sauvage. Chaque rencontre était comme l’éclipse d’un cerf devinée à la lueur des phares, au détour d’un virage. T’en souviens-tu ? Tes yeux brillaient. Mon cœur battait plus fort. C’était il y a longtemps. Avant les habitudes. Avant que le quotidien ne fasse de nous des voyageurs distraits. Le train de la vie passe dans un souffle, sans surprise, aspirant d’un seul coup le décor, les champs, les bois et les collines. Indifférents au paysage, nous ne prenons plus la peine de lever les yeux. Mon amour, je ne veux plus être une vache limousine. Lorsque tu trouveras ce mot, je serai partie. Quelque part, n’importe où. Prends la voiture. Ouvre les yeux. Viens me chercher. »

                            Clémentine Mélois

 
Lu dans:
Clémentine Mélois. Une rencontre. Lu à la Maison internationale des littératures Passa Porta, 2022.


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